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bretonnes, l’autre souriante et vive comme le ciel du midi, — n’est-elle point conforme au génie de chaque race ?

Ce n’est point évidemment le côté philologique qui est le mieux fait pour frapper dans les poèmes bretons publiés par M. de La Villemarqué, ou du moins ce côté intéresse surtout le savant que charment les mystères de l’érudition, et qui sent tout le prix d’une critique intelligente appliquée au rétablissement des textes, à la reconstruction de fragmens parfois considérables. Le commentateur français avait devant lui, dans cet ordre de recherches, l’Archéologie galloise de Myvyr, les savans travaux de M. Sharon-Turner. Ce qui est d’un intérêt plus accessible et plus universel dans ces fragmens bardiques, c’est le côté vivant et palpitant, c’est l’essence même de cette poésie dans ses rapports avec l’époque où elle est née, avec les mœurs qu’elle dépeint, avec cette race dont elle exprime les sentimens, les passions et les malheurs. La race celtique, on le sait, a eu des branches diverses, les Bretons gallois d’Angleterre, les Bretons armoricains de France : les uns et les autres ont les mêmes héros, les mêmes traditions, les mêmes souvenirs historiques, et ont eu à essuyer les mêmes revers. C’est une portion de ces souvenirs nationaux, en ce qui touche le pays de Galles, que les poèmes bardiques font revivre ; ils forment comme une iliade passionnée et triste, ou plutôt, si l’on nous passe le terme, c’est l’odyssée d’un peuple errant, battu par toutes les invasions, qui se retourne de temps à autre pour faire face héroïquement à l’ennemi, puis succombe et va s’enfermer dans ses vallées et ses montagnes pour garder du moins intacte à l’abri du foyer domestique une nationalité qu’il n’a pu faire prévaloir. Peuple singulier assurément, aussi noblement obstiné à ne point mourir que malheureusement organisé pour vivre, et qui ne veut point s’avouer vaincu dans une lutte dont les premières péripéties remontent au VIe siècle ! Le VIe siècle, en effet, est une époque décisive pour le peuple celtique ; c’est le commencement de la décadence de cette race pressée, enveloppée de toutes parts, foulée aux pieds par les tribus germaines conquérantes, par les Angles, par les Saxons, lesquels auront à leur tour à subir la loi de la conquête. Et c’est aussi dans le feu même de cette mêlée tragique que s’exhale la poésie d’un Taliesin, d’un Liwarc’h, d’un Aneurin chantant sur le mode celtique les héros et les combats de l’indépendance : — Gherent, le guerrier de Cornouailles et la bataille de Longport ; Urien, le chef des Bretons du Cumberland et la bataille d’Argoed-Louéren ; la mort d’Owen, fils d’Urien. Comme documens historiques, les poèmes des bardes ont le rare mérite d’offrir le témoignage des vaincus qui manque souvent à l’issue de ces grands chocs de peuples et de races. Comme œuvre littéraire, ils sont sans aucun doute la plus ancienne inspiration poétique formulée dans une langue moderne, un des premiers spécimens de ces littératures nationales