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passé glorieux et libre, y ont pu empêcher seulement que la démoralisation ne fit des progrès trop rapides. Le vieil esprit suisse a lutté contre le cosmopolitisme socialiste, et l’on peut espérer qu’il finira par vaincre. Déjà Berne a montré, il y a quelques mois, comment on pouvait, sans s’écarter des voies légales, revenir aux idées d’ordre, de justice et de vraie liberté. Méprisant les intrigues et les menaces d’un pouvoir aux abois, qui semblait prêt à tout oser pour se maintenir en place, le peuple bernois s’est relevé par un mouvement aussi noble qu’énergique, à l’époque où la constitution l’appelait à renouveler son grand conseil et par suite le personnel de son gouvernement. Une imposante assemblée de douze mille citoyens, réunis à Munzingen, sans désordre, sans tumulte ni vaine fanfaronnade, a servi de prélude à ces élections, qui, malgré les violences du parti radical, ont donné la majorité aux conservateurs, et ont fait arriver à la présidence du conseil d’état un homme que son caractère honorable, ses talens supérieurs et son esprit de modération rangent au nombre des plus dignes magistrats de la Suisse. M. Bloesch est à la hauteur de la tâche difficile que ses concitoyens lui ont confiée ; tous ses actes le prouvent, et il a su bientôt gagner l’estime de ses adversaires eux-mêmes. Le sort de Berne décidera peut-être de celui de la Suisse. L’influence de ce canton puissant et central se fait apercevoir déjà dans les cantons qui l’entourent. À Zurich, le radicalisme est en baisse ; Argovie, Soleure, Saint-Gall, commencent à tourner ; l’impulsion une fois donnée ne s’arrêtera point là. Les cantons de la partie française, quoique moins directement soumis à l’action de Berne, la subiront aussi, et d’autant plus vite que l’élément conservateur s’y est maintenu, malgré sa défaite, à peu près intact ; mais il faut, pour cela, que la confédération reste maîtresse de ses destinées, que nulle pression étrangère ne porte atteinte à son indépendance. En respectant le sentiment jaloux de nationalité qui a de tout temps distingué les populations helvétiques, les puissances voisines de la Suisse obtiendront d’elle toutes les garanties d’ordre et de paix qu’on peut justement en exiger. Les rêves de propagande universelle n’y ont jamais compté que de rares partisans, dont le nombre diminue à mesure que les yeux s’ouvrent et que le bon sens reprend son empire. Les populations suisses ont été un moment sous le coup d’une espèce d’hallucination causée par la fièvre du radicalisme. Aujourd’hui cette fièvre s’apaise, et, si l’on est assez sage pour éviter toute surexcitation intempestive, il y a lieu de penser que la Suisse entière sortira prochainement de la longue et terrible crise qui l’a si cruellement éprouvée. Le passage des radicaux au pouvoir dans quelques cantons n’aura été ainsi qu’une sévère leçon pour l’Europe aussi bien que pour la république helvétique. Alors, si nos prévisions se réalisent, la Suisse pourra, malgré cette rude épreuve, se rappeler sans trop de regrets des événemens qui, en facilitant le triomphe politique des radicaux, auront du moins servi à démontrer la stérilité de leur ambition.


J. CHERBULIEZ.