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n’est plus, selon leur teneur, que « l’organe exécutif suprême des volontés impériales ; — il est exclusivement responsable au monarque et au trône ; — il est affranchi de toute responsabilité vis-à-vis de toute autre autorité politique ; — le conseil de l’empire n’est plus que le conseil de la couronne. » L’empereur devient ainsi la source de tout pouvoir, et la signature impériale suffit à la sanction de tous les actes publics. Le premier acte de ce pouvoir unique, c’est de commander que la charte du 4 mars soit révisée de manière à comporter le plein exercice du droit monarchique et le plein affermissement de l’unité politique dans l’empire. À part cette phrase de consolation à l’adresse des unitaires autrichiens, dont les rêves moins bavards n’auront peut-être pas été beaucoup moins singuliers que ceux des unitaires prussiens, les ordonnances du 20 août ont ainsi effacé les dernières traces du régime constitutionnel en Autriche. Le cabinet de Vienne s’oblige par là, soit à s’isoler moralement de ses anciens alliés de Munich, de Dresde et de Stuttgart, qui ne peuvent guère sortir du terrain qu’il a délaissé, soit à les presser désormais dans le sens où il s’est déclaré lui-même, à exercer sur eux une influence anti-parlementaire qui aura bientôt placé les gouvernemens de second ordre dans la situation la plus fausse et la plus contradictoire aux yeux de leurs peuples C’est cette situation dont la Prusse pourrait bien faire son profit, et dont la perspective soudaine a durement frappé l’Allemagne.

Les ordonnances du 20 mars ont encore blessé les Allemands par un autre côté, quoique par ce côté-là elles semblent d’abord concerner plus particulièrement l’administration intérieure de l’empire. Jusqu’ici, le cabinet impérial, sous la haute direction du prince de Schwarzenberg, a constamment poursuivi, comme nous l’indiquions tout à l’heure, un but éminent ; il s’est proposé de reconstruire la monarchie autrichienne en soumettant ses élémens si hérérogènes à des règles d’unité absolue. Avec ces populations de races, de langues, de mœurs et de religions diverses, il a cru pouvoir faire une Autriche presque pareille à la France. Nous avons plus d’une fois expliqué tout ce qu’il y avait d’impraticable dans cette audacieuse entreprise qui se sentait encore du vertige révolutionnaire, quoiqu’on la tentât par esprit de conservation. L’un des obstacles contre lesquels elle devait inévitablement échouer, c’est que les agens de cette unité seraient tous des Allemands, c’est qu’il n’y avait que des fonctionnaires allemands qu’on pût sûrement employer pour courber sous un régime uniforme ces millions d’Italiens, de Hongrois, de Polonais, de Slaves réfractaires ; c’est que Vienne, la cité allemande, devenant une capitale absorbante à l’instar de Paris, tout l’empire était livré comme une proie au pur génie germanique ; c’est qu’en un mot, pour emprunter à l’Allemagne son jargon politique, l’œuvre d’unification, en Autriche, ne pouvait être qu’une œuvre de germanisation. Tel était le vrai fondement, la cause le plus sérieuse de la charte du 4 mars, puisqu’on y préconisait en propres termes « la grande œuvre de la renaissance d’une Autriche unitaire ; » tel était le plan qu’on voulait servir en instituant à Vienne même ce parlement impossible où l’on eût discuté dans cinq ou six langues à la fois. » Quoi qu’il en fût de cette impossibilité, ce n’était pas seulement cet avenir constitutionnel de l’Autriche qui réjouissait la candeur allemande, c’était surtout peut-être la pensée de cette propagande forcée qui allait assujettir à la civilisation germanique les barbares du Danube et plier