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Froebel ; M. Kûhne nous fait connaître et aimer un excellent homme, un réformateur naïf, convaincu, obstiné, une ame très originale, à coup sûr, comme celle de Pestalozzi lui-même ; il évite seulement toutes les questions que soulèvent ses projets de réforme, n’oublie de juger ceux qu’il vient de peindre.

Nous avons insisté sur ce volume de portraits, heureux d’y apprécier le mérite du peintre, heureux surtout de signaler une nouveauté féconde dans la littérature allemande. Plus d’un écrivain, sans doute, a composé des biographies avec talent, et personne n’ignore combien le digne Varnhagen d’Ense a donné de modèles en ce genre de travail. Il est certain pourtant que dans la littérature proprement dite, chez les hommes occupés de critique générale, chez les historiens des choses de la pensée, cette fausse philosophie de l’histoire dont je signalais tout à l’heure le péril a substitué des formules au sentiment du vrai et fait disparaître l’homme du théâtre de la vie. S’attacher à ce théâtre et y replacer l’homme avec sa liberté, n’est pas assurément une entreprise inutile. À force de mouvoir par grandes masses les acteurs de l’histoire, on altère peu à peu et on finit par ruiner tout-à-fait le principe de la responsabilité morale. C’est en ce sens que les portraits et les biographies sont le contraire de la philosophie de l’histoire et peuvent rendre de précieux services. Ce correctif, à l’heure qu’il est, est devenu indispensable. Quand on a abusé des généralités vagues, il est urgent de s’attacher aux détails ; quand on a réduit l’histoire en abstractions, il importe de rentrer au plus tôt dans le mouvement de la vie. M. Gustave Kühne a compris ainsi son travail ; ses héros sont bien des personnages réels, et non des êtres de fantaisie, créés tout d’une pièce pour le besoin d’un système. On sent battre leurs cœurs, on est ému de leurs passions généreuses ou folles, on suit avec anxiété leurs efforts, soit pour les plaindre, soit pour en désirer le triomphe. M. Kühne fera bien de persévérer. Il a l’intention de donner, dans une suite de biographies, le tableau de l’Allemagne depuis la révolution : c’est là une veine excellente qu’on doit l’encourager à poursuivre. Je lui dirai seulement de se décider une bonne fois à serrer son sujet de plus près, je lui conseillerai de ne jamais reculer devant la partie morale de ses portraits. Les obligations de la critique se transforment selon les nécessités des temps. Le critique qui n’oserait aujourd’hui rompre en visière à tout ce qui est faux et funeste ne mériterait que le nom de dilettante. Préparé par ces solides études, M. Kühne osera peut-être alors abandonner la critique rétrospective pour la vraie critique militante et hardie qui aspire à repousser chaque jour les invasions du mal. À quoi lui servirait cette lutte avec les morts, s’il ne devait bientôt se mesurer avec les vivans ?

C’est aux vivans, aux poètes, aux conteurs ; à ceux qui reflètent le mieux les idées et les sentimens de tous, que s’adresse avec une certaine audace un manifeste dont l’Allemagne littéraire s’est émue. Ce livre, intitulé la Littérature allemande contemporaine, ne mériterait pas le nom de manifeste, à coup sûr, s’il eût été publié à une autre époque et dans un autre pays. L’auteur, M. Charles Barthel, est une ame tendre et miséricordieuse ; ce n’est pas lui qui prendrait le fouet sacré pour chasser les vendeurs ; il déteste le mal, il à une aversion décidée pour le matérialisme, il regrette avec larmes les généreuses inspirations de l’ancienne Allemagne ; mais il adore la poésie, et, partout où il en rencontre la trace, il oublie ce mal qu’il avait l’intention de châtier. Où donc