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les incidens variés d’une même lutte. Quelle est cette lutte ? À quel problème de philosophie l’auteur prétend-il rattacher toute l’activité intellectuelle des trois siècles dont nous sommes les fils ? À ce qu’il appelle l’opposition du romantisme et des révolutions modernes. Le romantisme est un nom dont on abuse terriblement en Allemagne : Dans son acception la plus ordinaire chez nos voisins, ce mot signifie la résurrection artificielle d’une époque qui a accompli ses destinées, et tout l’ensemble des inspirations bizarres ou des ingénieux tours de force qui s’offrent dans une telle entreprise à une école littéraire. C’est ainsi que le groupe de rêveurs formé vers la fin du XVIIIe siècle, et qui a porté plus particulièrement le nom de romantique, le groupe des Novalis, des Wackenroeder, des Adam Müller, des Arnim, des Clément de Brentano, cherchait à restaurer par la poésie les croyances, les plus enfantines, les plus fantasques hallucinations du moyen-âge ; restauration étrange qui a pu renouveler le sentiment de l’art, qui a pu réagir heureusement contre les sèches abstractions de l’analyse moderne, mais qui a introduit une confusion funeste dans la pensée allemande. C’est ainsi encore que les hommes d’état dont la prétention est de détruire l’esprit de 89 pour relever une sorte de régime féodal sont très justement appelés les hommes d’état du romantisme. En appliquant cette idée à toutes les périodes de l’histoire, les Allemands sont arrivés à conclure que le romantisme ne désigne pas seulement les fantaisies inspirées par le regret du moyen-âge ; il y a eu des romantiques après chaque grande époque dont la disparition attristait certaines ames obstinément fidèles, il y en a eu aux derniers jours de la Grèce, il y en a eu à Alexandrie au lendemain de la mort du paganisme ; M. Strauss a prouvé dans un spirituel pamphlet que Julien l’Apostat était un romantique sur le trône des Césars. Le romantisme, d’après la définition adoptée au-delà du Rhin, est donc toute tentative, politique ou littéraire, philosophique ou religieuse, se proposant pour but de rappeler à la vie les formes tombées en poussière, et de les installer à la place de ce qui a vraiment droit à l’existence. La question seulement est de savoir d’une manière exacte ce qu’on a raison de considérer comme mort. Que d’institutions et de croyances dont on se hâte de dresser l’acte mortuaire, lorsqu’elles ont encore de nombreuses phases à parcourir et d’inappréciables services à rendre ! Que de gens même, que de risibles Titans affublés de formules, qui appliquent ce procédé cavalier à des lois éternelles, à des dogmes et à des institutions sur lesquels la rouille des siècles n’a point de prise ! Aux yeux de M. Feuerbach le christianisme est une chose morte, l’idée de Dieu a fait son temps ; et si vous avez la hardiesse de ne pas penser comme un génie de cette force, aussitôt, punition terrible ! vous êtes convaincu de romantisme. Il est vrai que M. Feuerbach est aussi un romantique pour M. Max Stirner, et que M. Stirner, à son tour, s’il conserve dans son système la moindre prescription morale, sera dépassé infailliblement et rangé dans la nécropole qu’il a bâtie. Il fallait expliquer le sens du mot romantisme chez les Allemands ; et connaître l’abus qui s’en fait chaque jour, pour apprécier le livre de M. Julien Schmidt ; tout son travail, en effet, roule sur cette fausse idée du romantisme, et les incroyables erreurs où il est te viennent de la systématique assurance avec laquelle il prononce ses arrêts de mort.

Si j’ai bien compris la construction historique de M. Schmidt, si je l’ai dégagée