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un enseignement complet, et quelquefois aussi une satire vulgaire et cynique, et moins qu’une satire, une caricature. Ainsi, à Toulouse, dans l’église de Saint-Sernin, on voit dans une chaire un âne en surplis prêchant un auditoire de porcs crossés et mitrés, et, à côté de ce singulier tableau, on lit ces mots : Calvin le porc preschant. Les monumens de ce genre sont nombreux, et l’on peut citer encore ce chapiteau d’une église de Caen sur lequel l’artiste a traduit en pierre un épisode grotesque d’une aventure galante attribuée à Aristote par les conteurs du moyen-âge. Le philosophe de Stagyre, disent les trouvères, s’éprit, en passant dans la ville de Caen, d’un vif amour pour la fille d’un boulanger. Il en obtint un rendez-vous, et il fut convenu qu’elle l’introduirait chez elle au moyen d’un grand panier qui servait à monter les sacs de farine par la fenêtre du grenier. À l’heure dite, le panier descendit jusque sur le pavé de la fenêtre du grenier. À l’heure dite, le panier descendit jusque sur le pavé de la rue ; le philosophe s’y plaça de son mieux, et la jeune fille l’éleva lentement en faisant tourner la poulie à, l’aide de laquelle on montait les sacs ; mais ce n’était là qu’un piège tendu par la malice féminine à la sagesse péripatéticienne : quand le philosophe fut arrivé à la moitié de son trajet aérien, elle cessa de faire tourner la poulie, et, fixant le câble, elle laissa le pauvre Aristote, suspendu entre le ciel et la terre, passer la nuit à la belle étoile. Cette aventure causa dans la ville une émotion très vive, et la statuaire en perpétua le souvenir pour apprendre aux bourgeois de Caen et aux philosophes de toutes les écoles à se défier des femmes. On pourrait multiplier les exemples de ce genre ; mais ce que nous venons de dire suffira, nous le pensons, à montrer que l’Ancien et le Nouveau Testament n’inspirent pas seuls la statuaire chrétienne, et que, dans l’architecture religieuse ainsi que dans la littérature et les mœurs, on trouve souvent, à côté du sentiment divin de l’infini, le matérialisme le plus grossier. Ce sont là des faits extérieurs à la foi, qui ne la compromettent en rien, et que les archéologues de l’école ecclésiastique s’obstinent bien à tort à méconnaître, au risque de fausser l’histoire. Qu’importe, en effet, à la puissance et à la pureté du christianisme le cynisme de quelques images sculptées par des artistes barbares ? La foi est restée debout au milieu de nos ruines, comme les cathédrales elles-mêmes au sein de nos villes renouvelées, et c’est avec raison qu’à la fin de son livre, M. l’abbé Auber, se reportant du passé vers l’avenir, promet encore de longs siècles de durée à ces monumens qui comptent déjà tant de siècles d’existence. Il y a là quelques pages bien senties de philosophie religieuse, qui prouvent que, si dans l’Histoire de la Cathédrale de Poitiers on rencontre çà et là des détails arides, il faut en accuser le sujet plutôt que le talent de l’auteur.

Nous nous arrêterons encore, avant de sortir du Poitou, à l’Histoire de l’Administration supérieure du département des Deux-Sèvres[1], par M. Jules Richard. Cette histoire s’ouvre par une introduction claire et précise, dans laquelle l’auteur trace rapidement le tableau de l’administration provinciale du Poitou, depuis les commissaires extraordinaires de Charlemagne connus sous le nom de missi dominici, les enquêteurs de Louis IX, les intendans créés par Richelieu, jusqu’aux assemblées, provinciales établies par Necker en 1787. Ces assemblées, qui, dans le Poitou, se divisaient en trois catégories distinctes, suivant qu’elles représentaient les villes, les élections ou la province, étaient chargées

  1. Niort, 1846, 1850, 2 vol. in-8o.