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Cette alliance monstrueuse ne tarda pas à s’opérer. Malgré l’apparente incompatibilité qui existait entre le parti ultramontain et M. James Fazy, porté au pouvoir par haine des jésuites et du Sonderbund, le fait est que leurs tendances convergeaient vers un but commun : la destruction de l’ancienne Genève, de la république protestante, œuvre de Calvin, maintenue pendant trois siècles par l’esprit des institutions établies sous l’influence de son génie.

Dans un Essai sur l’Histoire de Genève publié en 1838, M. Fazy avait assez ouvertement exposé ses vues à cet égard. Hostile par instinct à l’austérité du rigide réformateur et ne faisant pas grande estime de sa mission religieuse, il l’accusait d’avoir comprimé l’essor de la démocratie. Aussi, dès qu’il se vit en position d’agir efficacement en sens contraire, il s’empressa de porter la sape et la pioche sur tout ce qui restait encore de l’édifice de Calvin, et l’antagonisme catholique lui vint en aide dans cette œuvre de destruction avec un aveugle empressement. Le grand conseil commença par condamner les membres du précédent gouvernement à payer les frais de l’émeute pour les punir d’avoir rempli leur devoir en défendant contre elle l’autorité que le peuple leur avait confiée. Ensuite la constitution, révisée dans un sens tout-à-fait radical, fut acceptée par le peuple à une assez grande majorité, parce que les catholiques la votèrent avec enthousiasme. Elle se bornait, en fait de progrès politique, à étendre le droit électoral aux faillis et aux assistés. C’était indiquer assez clairement qu’on en voulait surtout à la supériorité morale, et les actes postérieurs du gouvernement provisoire, maintenu dans ses fonctions avec M. James Fazy pour président, ne laissèrent aucun doute à ce sujet. Cette constitution établit un conseil d’état de sept membres à 5,000 francs de traitement, nommés par l’ensemble des électeurs réunis en un seul collége à la ville. Ce conseil se renouvelle tous les deux ans, alternativement avec le grand conseil, élu par les trois collèges électoraux, en sorte que chaque année le pays est agité par des élections générales, sans compter celles des députés fédéraux, celles des autorités communales, celles des membres du consistoire et enfin celles des pasteurs. Le suffrage universel ainsi placé à la base de toutes les institutions est organisé de la manière la plus favorable aux pressions du tumulte et de la violence. Les élections doivent être validées, d’abord après le dépouillement du scrutin, par le bureau même qui les a dirigées, et dont le président est nommé par le conseil d’état. Les divers départemens de l’administration se composent chacun d’un seul conseiller d’état ayant sous ses ordres des commis salariés ; les anciens comités auxiliaires et gratuits sont supprimés pour faire place à la bureaucratie. L’action du pouvoir exécutif est ainsi rendue plus libre, mais aussi plus arbitraire et plus despotique. Représentant direct de la souveraineté du peuple, il ne doit avoir d’autre entrave que la responsabilité personnelle de ses membres, garantie fictive dans un pays où la frontière se trouve à moins de deux lieues du centre. Le droit de voter, sauf pour les élections municipales, est accordé à tous les Suisses domiciliés dans le canton. L’organisation judiciaire est établie sur le principe du juge unique, avec le jury pour le criminel et le correctionnel. La contrainte par corps est abolie. Le droit de grace appartient au grand conseil.

Cependant toutes ces modifications constitutionnelles, quelque graves qu’elles fussent, n’étaient pas de nature à contenter beaucoup les révolutionnaires en sous-ordre. Il fallut leur offrir d’autres satisfactions plus positives. La curée des