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condition sociale, qui était à peu près la même pour tous dans la patrie qu’ils avaient quittée. Presque tous appartenaient en effet aux classes moyennes de l’Angleterre ; peu d’entre eux s’étaient recrutés dans les dernières couches du peuple ou dans les rangs de l’aristocratie ; quelques-uns appartenaient, comme les révolutionnaires d’Angleterre, à la petite aristocratie des campagnes, des comtés. Jamais aucun pays n’a eu une origine plus exclusivement démocratique. Il était matériellement impossible qu’une forme de gouvernement autre que la forme démocratique pût s’établir avec de tels élémens, et, lorsqu’en 1789 le gouvernement républicain fut proclamé, on peut dire qu’il y eut unanimité de sentimens et consentement universel ; l’établissement de l’Union américaine ne fut point le triomphe d’une classe sur une autre classe : ce fut l’accomplissement des vœux et des désirs de la nation entière.

Fondée non sur des abstractions, mais sur des faits naturels et des instincts spontanés, il était impossible que la démocratie ne vécût pas et ne se développât point, comme il est impossible que ne se développe pas tout gouvernement démocratie ou monarchie, qui s’appuiera sur des faits naturels et vivans. On peut avoir théoriquement des préférences pour telle ou telle forme de gouvernement, mais la vie et la nature n’ont point de préférence : elles font croître et se développer tout ce qui est doué de vitalité, tout ce qui n’est pas vicié, corrompu ou artificiel ; elles sont à jamais incapables de communiquer l’étincelle vitale à une combinaison plus ou moins savante de rhéteurs et de pédans. La démocratie américaine devait vivre, parce qu’elle contient en elle tous les élémens philosophiques nécessaires à la démocratie : je veux dire un élément théocratique ou divin, et un élément de droit purement humain, l’association. La théocratie est-en effet au fond de la démocratie américaine, et c’est pourquoi cette démocratie a prospéré. Toute démocratie qui ne s’appuie pas sur l’idée de Dieu est par cela même condamnée à périr, car alors elle doit prendre son principe dans l’athéisme, dans la simple croyance en l’humanité. Les protestans comprirent que l’homme, pour être libre, devait naturellement être soumis au pouvoir de Dieu ; ils crurent en cette belle parole si vraie : « La liberté vient du ciel, » et, faisant consister la liberté à n’être pas gênés dans leur développement non-seulement par des institutions traditionnelles ou par leurs semblables, mais encore par eux-mêmes, ils comprirent que, pour fonder cette liberté, il leur fallait naturellement resserrer d’autant plus les liens moraux et religieux, que les liens temporels et politiques seraient davantage relâchés. Dans les principes du protestantisme, et par conséquent de la démocratie américaine la liberté n’est pas tant un droit qu’un devoir. Il est une chose qu’on n’a pas assez remarquée : c’est que, dans le protestantisme,