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se détruit d’elle-même ; M. Halliburton a très bien fait remarquer que la république ne remontait ni à 1789 ni à 1796, qu’elle n’avait été fondée ni par la constitution fédérale ni par la proclamation d’indépendance ; mais qu’elle avait été fondée du jour où des puritains mirent pour la première fois le pied sur le sol de l’Amérique. Faisant l’histoire de la colonie du Massachusetts, l’auteur de Sam Slick a très bien fait remarquer que, dès l’origine, cette colonie était une république démocratique. Que les puritains aient été intolérans, cela ne peut être nié ; qu’ils aient été rusés et politiques dans leurs relations avec la couronne et qu’ils aient cherché à lui arracher le plus de concession possible, cela n’est pas et ne peut être contesté ; mais n’étaient-ils pas en droit de chercher à conserver leur liberté, pour laquelle ils avaient traversé les mers et supporté tant de maux, de chercher à reprendre la libre disposition d’eux-mêmes, à protéger leur conscience contre les empiétemens de l’anglicanisme ou de l’épiscopat ? Et, pour pousser les choses à l’extrême, n’avaient-ils pas aussi le droit d’entourer comme d’une muraille leur communauté (commonwealth) contre les croyances et les opinions qui n’étaient pas conformes à leurs croyances et à leurs opinions, et qui auraient porté la discorde là où régnait l’union des esprits et des volontés ?

Non, la démocratie américaine a une plus haute origine que la ruse et la déloyauté : elle est née, comme le gouvernement constitutionnel en Angleterre, des faits eux-mêmes, elle n’est pas le produit de théories ni de combinaisons abstraites. Les doctrines des premiers protestans portaient incontestablement leur pensée vers la démocratie, mais leur condition sociale réelle rendait la démocratie encore bien plus inévitable en Amérique. Chez nous, la démocratie est une conquête, une victoire, que sais-je ? En Amérique, par deux fois, au commencement du XVIIe siècle et à la fin du XVIIIe, les conditions les plus favorables se sont rencontrées pour son établissement : à l’origine, une grande égalité de condition parmi les premiers colons ; lors de la séparation d’avec l’Angleterre, une grande égalité de désirs parmi les citoyens des colonies. L’égalité de condition, de rang, d’opinions, régnait chez les dissidens, qui, pour pratiquer librement leurs croyances, préférèrent l’exil au séjour de leur patrie ; elle régnait parmi eux, grace au malheur,qui leur était commun, aux périls qui les enlaçaient tous dans la même solidarité, aux consolations religieuses qui étaient semblables pour tous, au même besoin qu’ils sentaient tous avoir les uns des autres, aux prières qu’ils avaient exhalées ensemble au milieu des tempêtes, au sein du désert. L’appui mutuel qu’ils étaient obligés de se prêter chaque jour sur un sol inhospitalier aurait banni de leurs ames tout sentiment d’orgueil dominateur, tout souvenir de leurs anciennes prérogatives, s’ils n’avaient pas été déjà unis par le lien de la