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il devait probablement avoir été initié par ses relations avec les principaux membres des comités révolutionnaires dont Paris était le centre.

La situation géographique de Genève, sa longue lutte contre un voisin puissant qui menaçait son indépendance, son renom comme berceau du protestantisme calviniste, son lustre littéraire et principalement scientifique, lui ont donné une importance toute particulière en Europe. La position de cette ville, libre depuis trois cents ans, au milieu des trois nationalités française, italienne et allemande, la part qu’elle a prise au mouvement intellectuel ainsi qu’à presque tous les grands événemens de l’époque moderne, le rôle surtout qu’elle joua dans le XVIe siècle en ouvrant ses portes aux nombreuses victimes de la persécution religieuse, firent naître chez quelques hommes le projet d’en faire l’asile des réfugiés politiques, l’embryon d’un état républicain modèle, qui agirait par rayonnement sur ses alentours, et servirait ainsi de la manière la plus efficace la cause de la démocratie. L’ambition de M. James Fazy adopta volontiers ce plan, qui pouvait faire de Genève une sorte de levier avec lequel on aurait remué le monde. L’idée avait certainement un côté généreux ; mais les tendances du radicalisme s’opposaient elles-mêmes à la réalisation de ce projet en confondant les barricades révolutionnaires avec la résistance passive, la foi profonde et les armes purement spirituelles des réformés du XVIe siècle.

À Lausanne, le radicalisme avait procédé par les prédications de cabaret ; à Genève, il suivit une autre tactique. M. Fazy fonda un journal, l’Europe centrale, dans l’intention de préparer les voies et de se concilier le peuple, dont il flattait l’orgueil par l’appât des hautes destinées promises à la république-modèle. En 1834, il soutint l’expédition polonaise-italienne et blâma la conduite du gouvernement genevois, contre lequel dès-lors il entreprit une polémique aussi injuste qu’acrimonieuse. Ses attaques ne produisirent d’abord que de la défiance ; pendant les sept années suivantes, il ne parut point avoir conquis la moindre influence apparente dans les cercles politiques de l’opposition. Cependant il avait jeté au sein de la multitude un levain qui fermentait en secret. Lorsqu’en novembre 1841 éclata le mouvement populaire provoqué par l’association du 3 mars, M. Fazy se trouva le véritable chef de l’émeute, et peu s’en fallut qu’il ne la fît tourner à son profit personnel. Sans la promptitude avec laquelle le conseil d’état et le grand conseil se résignèrent à la convocation d’une constituante, il devenait maître de la situation et s’emparait du pouvoir cinq ans plus tôt qu’il ne l’a fait.

Élu membre de la constituante, il y donna carrière à son éloquence diffuse et sophistique. Maniant la parole avec un aplomb que rien ne pouvait déconcerter, discutant avec une aigreur bien propre à faire vibrer les passions populaires, et payant d’audace quand il était à bout d’argumens, il fut bientôt le, favori de la foule. Après le 13 février 1843, M. James Fazy, qui avait jugé bon de s’abstenir ce jour-là, reparut quand l’amnistie fut proclamée, et ne se montra que plus violent et plus audacieux dans son journal, qui n’était plus l’Europe centrale, morte en 1835, ressuscitée en 1841 sous le titre du Représentant, qui était devenu la Revue de Genève. Passé maître dans l’art d’embrouiller les questions, déployant toutes les ressources que la dialectique peut fournir au rhéteur pour soutenir et gagner sa cause, il exerçait sur le public cette espèce de fascination qui résulte des tours d’adresse exécutés par un prestidigitateur