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des Assyriens comme d’un grand peuple ; mais ce grand peuple avait passé sur la terre sans y laisser d’empreinte, et son histoire était perdue. Tout ce qui avait appartenu à ce puissant empire, contemporain des premiers âges du monde, qui avait pour site ces vastes plaines de la Mésopotamie, le berceau du genre humain, et pour capitales Babylone et Ninive, tout ce qui pouvait rappeler son passé et amener la restitution de son histoire restait comme enveloppé d’une impénétrable obscurité ; l’oubli semblait avoir tout dévoré. M. Botta, le premier, a déchiré le voile dont s’enveloppaient ces vieilles et mystérieuses nations : il nous a révélé d’un même coup une histoire, un art et une civilisation. Grace à lui, Ninive s’est comme relevée du milieu des ruines où elle dormait depuis le prophète Jonas ; les palais de ses rois ont été retrouvés et fouillés, et bientôt l’Assyrie nous sera connue comme la vieille Égypte. Ses monarques superbes, premiers dominateurs de ces contrées du centre de l’Orient que baignent le Tigre et l’Euphrate, ont reparu devant nous, terribles dans la guerre, fastueux dans la paix, traînant les nations à leur suite ou les brisant sous leurs chars. Ces nations elles-mêmes sont sorties de la poussière où elles reposaient depuis trente siècles. Voilà ces somptueux Assyriens, amoureux des plaisirs plus amoureux encore de leurs personnes, qui devaient consacrer la moitié d’un jour à étager symétriquement leur barbe ou à boucler leur chevelure. Leurs riches vêtemens, leurs costumes : si variés, leurs armes d’un travail si curieux, leurs meubles, leurs ustensiles, leurs bijoux, sont là sous nos yeux. Nous connaissons leurs usages, leurs mœurs, leurs arts surtout nous sont révélés. La rare perfection qu’ils savaient donner à leurs sculptures est un sujet d’étonnement pour nos artistes, et ces bas-reliefs, ces colosses de pierre, simples ornemens d’un palais, nous font comprendre la colère des prophètes contre ces simulacres d’or et d’argent d’un si merveilleux travail, que leur vue seule corrompait le peuple de Dieu et le poussait à l’idolâtrie[1].

On conçoit l’émotion que cette résurrection d’un empire et d’un peuple a causée dans le monde savant. Depuis lors, une partie des monumens découverts par M. Botta ont été transportés en France et ont formé un nouveau musée. Le palais qu’il avait exploré a été décrit avec soin et représenté en détail dans un magnifique ouvrage ; on peut donc juger en parfaite connaissance de cause de l’importance de la découverte, de la rareté, et de la valeur des monumens recueillis. Sur les bords du Tigre comme en Égypte, la France avait donné l’impulsion et fait les premières découvertes. Pourquoi faut-il que la révolution de février soit venue interrompre une entreprise si heureusement commencée ?

  1. Baruch, VI, 81. La Bible fait connaître le nom du dieu des Ninivites : ils s’appelait Nesroch.