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REVUE DES DEUX MONDES.

entre l’extrême sévérité de M. Nisard et l’extrême facilité de M. Saint-Marc Girardin eût-il trouvé quelque chose à ajouter.

La réponse de M. Saint-Marc Girardin a été, du reste, en tous points digne de cet éminent et charmant esprit, même quand elle touchait presque au paradoxe, et c’est peut-être alors qu’elle a été le plus applaudie. Pendant une heure, au milieu du plus persévérant succès, M. Saint-Marc Girardin a su intéresser à mille questions littéraires, à des digressions sans nombre, à une appréciation souvent fort piquante des ouvrages du récipiendaire. Le directeur de l’Académie, pour tout dire, semblait un peu parfois s’être chargé des représailles du public à l’égard du nouvel élu, et c’était peut-être fort heureux pour M. Nisard en ce moment. M. Saint-Marc Girardin a un mérite rare de notre temps : il sait envelopper de pures et fortes leçons de bonne grace, maintenir d’immortelles vérités sans effaroucher son monde, contredire en ayant l’air de louer, et même, quand la malice l’emporte, il laisse le public charmé, sans que celui qui a eu à essuyer le feu ait guère autre chose à faire qu’à le remercier, parce qu’au fond des spirituelles saillies il y a la justice rendue au talent.

CH. DE MAZADE.

THEATRES. — L’OPERA. — LA CORBEILLE D’ORANGES.


Il y a certaines heures dans la carrière des musiciens et des poètes dramatiques où il faut que leur talent ou leur bonne volonté se montre, non au profit de leur gloire, mais pour le bien du théâtre qu’ils alimentent. M. Scribe et M. Auber ont eu cette fois à sacrifier aux nécessités immédiates. Il fallait tout de suite, sans prendre le temps d’y songer, un opéra pour la rentrée de Mlle Alboni. Cet opéra ne devait être ni trop sérieux ni trop gai ; on avait vu Mlle Alboni dans les rôles du répertoire ordinaire : il fallait faire connaître au public, dans une musique faite exprès, le côté bouffe du talent de la célèbre chanteuse. Le poète et le compositeur se sont mis à l’œuvre. On prend rarement M. Scribe en défaut ; ses cartons fourmillent de livrets de toute taille qu’un trait de plume approprie aux circonstances ; pour M. Auber, la chose est aussi facile, et quoique depuis près de trente ans il puise aux sources de l’harmonie, sa coupe est toujours pleine ; puis, si le temps manque, et il a manqué, n’a-t-il pas, comme M. Scribe, de petits trésors enfouis : airs de ballets d’un opéra retiré du répertoire, fragmens d’un duo plus récent, petits couplets oubliés dans le tumulte d’un finale, et qu’on a soigneusement mis de côté pour une meilleure occasion ? Avec ces dépouilles rajustées, rajeunies, saupoudrées de quelques jolis motifs pour relier le tout, M. Auber fait un opéra. Ce n’est donc pas d’une œuvre originale que nous parlerons, mais d’un cadre préparé pour faire valoir sous toutes ses faces le ravissant talent de Mlle Alboni.

Jusqu’à présent, on n’avait entendu Mlle Alboni à l’Opéra que dans la musique sérieuse et dramatique, on avait apprécié les qualités incontestables de son organe, la pureté, la limpidité cristalline de sa vocalisation ; mais, au milieu de ces trésors, un seul défaut atténuait l’ensemble : l’ame manquait, et avec elle le sentiment ardent, passionné. Aucune vibration ne sortait de ces notes alignées