Page:Revue des Deux Mondes - 1851 - tome 10.djvu/973

Cette page a été validée par deux contributeurs.

sans ambition, sans vanité, par amour pour cette noble et calme jouissance du devoir accompli. Il en est un du moins dont elle dira cela : ce sera M. de Broglie.

Nos possessions d’Afrique viennent d’être le théâtre de nouveaux combats. L’expédition dirigée contre la petite Kabylie est déjà signalée par de très vifs engagemens, par d’heureux résultats glorieusement achetés. Sortie de Milah, petite ville au sud-ouest de Constantine, située presque à l’entrée des montagnes qu’habitent les populations hostiles, la colonne expéditionnaire a soutenu durant sept journées, du 17 au 21 mai, date des dernières nouvelles, les fatigues et les pertes d’une marche même victorieuse en un pareil pays. La résistance que nos troupes ont rencontrée est une preuve de plus de l’importance et de la nécessité de l’entreprise qu’elles exécutaient. Pour que l’œuvre de la France en Afrique s’accomplisse jusqu’au bout, il faut coloniser ; mais il n’y a point de colonisation possible tant que la sécurité manque. Or, la sécurité de la province de Constantine est perpétuellement compromise par l’inquiétude ou le mauvais vouloir des populations kabyles qui l’avoisinent, notamment dans cette partie des montagnes qui s’étend entre Bougie et Philippeville, et qu’on désigne sous le nom spécial de petite Kabylie.

Les gens de montagne sont partout plus durs à l’obéissance que ceux de la plaine ; mais en Algérie la différence absolue qui sépare les deux races, uniquement réunies par le lien religieux, rend encore le contraste plus sensible. Les Kabyles en effet, d’origine berbère, sont les anciens maîtres du pays, que la conquête arabe a refoulés dans les montagnes, où ils ont emporté leur langue (le chaouia), leur industrie, leur courage infatigable, leurs habitudes d’égalité civile, leur droit de propriété personnelle, et encore cet entêtement proverbial qui fait dire aux Arabes : Cassé la tête d’un Kabyle, il en sortira une pierre. Kabyle ou montagnard, c’est donc tout un ; aussi les différentes parties de l’Algérie en renferment-elles beaucoup. Toutefois, l’agglomération de montagnes entre Alger et Philippeville étant plus considérable que partout ailleurs, leurs habitans ont toujours su s’y mieux maintenir, y garder leur indépendance et s’affranchir des tributs. Ils pouvaient ainsi passer à bon droit pour les représentans les plus énergiques de la race entière, et l’usage s’est établi de nommer Kabylie toute cette ligne de côtes ; puis, comme de Bougie à Philippeville le pays, large jusque-là de vingt-cinq lieues environ, ne l’est plus guère que de dix, cet étroit territoire s’est appelé petite Kabylie, et on l’a distingué comme cela de la grande, qui longe la première partie de la chaîne.

Plus rapprochée de la route de Philippeville à Constantine et de nos différentes colonies, la petite Kabylie était devenue la citadelle où se réfugiaient tous les aventuriers qui bravaient ainsi notre autorité après l’avoir inquiétée sur nos propres terres par leurs mauvais coups. Il était urgent de faire sentir à ces populations la longueur de notre bras, comme elles disent elles-mêmes, si nous ne voulions voir le danger prendre les proportions les plus graves. Ces motifs, qui ont décidé l’expédition actuelle, ne sont guère moins urgens pour la grande Kabylie, et nous forceront tôt ou tard à y intervenir aussitôt que le développement de notre colonisation nous aura mis en un contact encore plus proche avec les indigènes.