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Méditations au-dessous des premières, ce n’est pas une raison pour prendre à partie le siècle tout entier et l’accuser d’ingratitude et d’ignorance. L’envie, qui attaque si obstinément tant d’œuvres éclatantes, n’a jamais eu grand’chose à démêler avec M. de Lamartine. Les Méditations ont en effet l’incontestable avantage de ne pouvoir être invoquées comme argument ni pour ni contre aucun système. Par leur nature même, elles échappent à toute discussion, du moins à toute discussion conduite d’après les principes de l’école ; pour les analyser, pour les apprécier, il faut renoncer à invoquer les préceptes établis dans les poétiques. Ni le maître d’Alexandre, ni l’ami de Mécène, n’avaient prévu ce genre d’effusions ; il serait donc inutile de leur demander conseil pour estimer ce qu’elles ont de contraire ou de conforme aux lois de l’art. Le caractère spontané, personnel des Méditations les a soustraites jusqu’à présent aux querelles académiques et scholastiques, et je suis encore à deviner l’attaque, l’accusation qui a pu motiver les plaintes de M. de Lamartine. La lettre à M. Dargaud n’est, à proprement parler, qu’un effet sans cause. Je ne blâme pas les éloges qu’il se décerne pour les premières Méditations ; mais je ne puis accepter comme sensée sa colère contre le prosaïsme du siècle. Qu’il s’admire, j’y consens : il a le droit de s’admirer ; mais qu’il se plaigne d’avoir été méconnu dès son second ouvrage, je ne puis lui donner raison. L’ingratitude n’est pas du côté de la foule, elle est tout entière du côté du poète. Ou l’admiration accordée aux premières Méditations avait rendu M. de Lamartine singulièrement exigeant, ou il a fermé l’oreille aux louanges que la France prodiguait aux Nouvelles Méditations pour n’entendre que les voix sans crédit, sans autorité, dont je parlais tout à l’heure.

La lettre à M. d’Esgrigny, placée en tête des Harmonies, est plus puérile, plus déplorable encore que la lettre à M. Dargaud. L’auteur, ne sachant que dire de ce nouveau recueil, c’est lui-même qui le déclare, ayant promis une préface et ne devinant pas sur quoi il pourrait l’écrire, au lieu d’abandonner sagement son premier projet, imagine de se rejeter dans l’autobiographie et de nous raconter une de ses courses à Milly, un de ses entretiens familiers avec le père Dutemps, qui a connu sa mère et ses sœurs. Ces détails, bien que dépourvus de toute importance littéraire, réussiraient peut-être à nous intéresser, s’ils nous étaient présentés sous une forme plus modeste et surtout dans une langue moins prolixe ; mais, de Mâcon à Milly, M. de Lamartine ne nous fait pas grace d’un clocher, d’un pan de muraille, d’un bouquet de bois, d’un coteau, d’une vigne ; il compte les cailloux et les brins d’herbe, et, quand nous arrivons enfin à Milly, notre attention est déjà fatiguée. Sous ces descriptions sans fin, toute pensée disparaît. Comment le lecteur poursuivrait-il une, tâche que l’auteur abandonne ?