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moment de notre histoire. Quoique le style, pour avoir une véritable valeur, doive naître de la pensée même, et que le style de Racine appliqué aux comédies de Molière, comme le voulait un bel-esprit de nos jours, soit une des idées les plus saugrenues qui se puissent concevoir, un esprit sérieux peut se demander ce que fût devenu, dans les mains d’un poète du XVIIe siècle partagé entre la foi et le découragement, le sujet traité par M. de Lamartine. Bien qu’alors l’imitation de l’antiquité païenne dominât l’étude de la poésie biblique, Isaïe et David n’ont pourtant pas trouvé un écho moins harmonieux que Sophocle et Euripide. Si le livre des Rois n’est pas scrupuleusement respecté dans Athalie, Iphigénie ne rappelle pas la Grèce héroïque d’une façon très littérale. Ce qui assure à ces deux ouvrages une longue jeunesse, c’est d’abord la vérité humaine, la vérité des sentimens pris en eux-mêmes, abstraction faite du temps et du lieu, et puis la mesure dans l’expression. J’imagine donc que le sujet traité par M. de Lamartine, soumis aux lois acceptées par le XVIIe siècle, n’eût rien perdu de sa grandeur, de sa vérité. Les détails qui nous éblouissent et nous fatiguent, émondés par une main sévère, laisseraient à la pensée toute sa clarté, toute son évidence. L’esprit suivrait sans effort toutes les transformations de la tristesse et ne chercherait pas, en achevant le dernier hémistiche, à retrouver sous les ronces et les broussailles le sentier indécis qu’il a parcouru. La mesure dans l’expression, quoi que puissent dire les panégyristes de l’improvisation, n’appauvrit pas la pensée. Ce qu’on nomme aujourd’hui abondance n’est trop souvent que prolixité ; les images prodiguées à l’infini, loin d’ajouter à l’éclat, au relief de la donnée poétique, ressemblent à ces draperies dont les plis capricieusement multipliés abolissent la forme du corps. Regardez une statue trouvée dans les champs de l’Attique : le lin ou la laine, disposés par une main tout à la fois savante et hardie, laissent deviner la force de l’athlète ou la beauté de la jeune canéphore. Les plis semblent comptés, ou plutôt c’est le mouvement même du personnage qui commande à l’étoffe obéissante. Regardez une statue de Bernin : le marbre est fouillé avec une merveilleuse adresse, il semble vouloir lutter de souplesse avec les tissus les plus fins ; mais le ciseau, en multipliant les caprices de la draperie, a effacé les contours du corps. Laquelle de ces deux statues vous semble plus près de la vérité, plus près de la beauté ? Eh bien ! sans vouloir établir aucune comparaison directe entre M. de Lamartine et Bernin, n’est-il pas permis de voir dans la prolixité du style le même danger que dans les draperies dont les plis multipliés sans raison et sans mesure masquent les contours du personnage ?

Est-ce à dire que l’inspiration qui a dicté les Harmonies soit moins abondante, moins sincère, moins sûre, moins féconde que l’inspiration qui a dicté les Méditations ? Telle n’est pas ma pensée. Ces deux recueils, sans être consacrés à l’expression du même sentiment, appartiennent