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du chêne jusqu’au souffle embaumé qui s’échappe des lèvres de la jeune vierge, depuis l’orage qui ébranle le rocher sans déraciner le géant des forêts jusqu’au soupir qui soulève la poitrine où l’amour va s’éveiller, il n’y a pas un trait qui ne soit rendu avec éloquence. Si la précision manque parfois, c’est à peine si l’intelligence du lecteur trouve le temps de s’en apercevoir, tant elle est charmée, tant elle se laisse aller avec bonheur à la contemplation du tableau qui lui est offert. Éplucher les expressions qui tantôt vont au-delà de la pensée, tantôt demeurent en-deçà, serait une besogne stérile : ces taches légères n’altèrent pas la sérénité, la splendeur de la composition. Fervent au début, austère en racontant la vie du chêne, mélodieux et tendre en racontant la vie de la jeune fille, animé d’un pieux enthousiasme quand il revient à sa première pensée, le poète a dit ce qu’il voulait dire ; il a trouvé l’évidence dans l’émotion : n’est-ce pas la vraie logique de la poésie ? Il n’a pas eu besoin de disserter pour nous imposer sa conviction ; il nous a montré la création dans toute sa magnificence, la vie du chêne dans toute sa vigueur, la vie de la jeune fille dans son radieux épanouissement, et, suspendus à sa bouche par une chaîne d’or, nous l’avons écouté avec bonheur, avec sympathie, jusqu’au moment où ses lèvres se sont fermées, où notre cœur s’est ouvert à la prière. Le sentiment religieux trouve rarement parmi les poètes un interprète aussi éloquent.

Après Jéhovah, la plus belle harmonie, celle du moins qui réalise le mieux le dessein du poète est, à mon avis, l’Infini dans les Cieux. C’est la même idée, la grandeur de Dieu, mais présentée sous une autre forme, et les détails sont d’une telle richesse, d’une telle variété, que l’idée, bien qu’identique, peut à bon droit passer pour nouvelle. Il serait d’ailleurs superflu d’insister sur la nouveauté du thème. La grandeur de Dieu, l’immensité de la création, le peu de place que l’homme tient dans l’ensemble des choses, sont éternellement rajeunis par la pensée. Les psaumes de David n’ont pas épuisé la matière ; les pères de l’église, en traitant le même sujet avec une rare éloquence, ne l’ont pas appauvri pour les générations futures : il est dans la destinée de l’humanité d’agiter sans relâche ces questions que les esprits frivoles regardent comme sans valeur. En relisant l’Infini dans les Cieux, je me rappelais le mot d’un homme d’esprit : — Pourquoi M. de Lamartine, au lieu de remettre sur le métier quinze ou vingt fois la même idée, ne s’est-il pas décidé à établir dans ses Harmonies un ordre méthodique ? Le recueil n’eût pas manqué d’y gagner. — Le mot fut applaudi comme l’expression d’une pensée vraie, et pourtant tous ceux qui ont étudié sérieusement la poésie, tous ceux qui connaissent le rôle assigné à chacune de nos facultés, savent à quel point cette spirituelle question est dépourvue de bon sens. Vouloir soumettre l’imagination aux mêmes lois que l’histoire, la philosophie ou les sciences positives, est un pur caprice