Page:Revue des Deux Mondes - 1851 - tome 10.djvu/946

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’intelligence. Les plus belles méditations n’offrent rien de pareil. Pourquoi la forme ne s’est-elle pas épurée en même temps que la pensée s’agrandissait ? Je ne me charge pas de l’expliquer. J’aime mieux insister sur l’admiration que j’éprouve chaque fois que je relis la seconde et la troisième parties de ce poème. Les transformations du gland qui devient chêne sont racontées avec une richesse, un éclat de couleur qui étonnent et ravissent. Le germe du chêne futur apporté par le vent sur la cime du rocher, quelques grains de poussière pétris par la pluie qui le nourrissent et le fécondent, et voilà le roi des forêts ! Quelle humilité dans son berceau ! quelle grandeur dans son adolescence !

Le développement de l’humanité n’est pas traité avec moins de bonheur. Avec un goût que je ne saurais trop louer, l’auteur, après la peinture du chêne dont les vastes rameaux couvrent de leur ombre un arpent de terre, nous raconte l’enfance et la jeunesse de la femme : il y a dans le contraste de ces deux tableaux une délicatesse que je n’ai pas besoin de signaler. M. de Lamartine a trouvé pour exprimer la beauté virginale, l’épanouissement de la jeunesse sous le souffle de l’amour, des paroles d’une ineffable tendresse. Il est impossible de lire sans émotion les strophes où il décrit la jeune fille étonnée et confuse de l’admiration qu’elle excite ; jamais poète n’a mieux caractérisé le charme que la pudeur ajoute à la beauté. Toutes les comparaisons que le spectacle de la nature peut suggérer à l’imagination sont tour à tour employées avec un rare discernement et nous enchantent sans nous éblouir. S’il y a dans cette troisième partie moins de nouveauté, moins de traits inattendus que dans la vie du chêne, en revanche les traits gracieux sont prodigués avec une générosité inépuisable. La vie du chêne nous imposait la foi par l’étonnement ; la vie de la jeune fille nous mène à Dieu par l’attendrissement et le bonheur : cette blonde créature, dont les yeux réfléchissent l’azur du ciel, dont les cheveux ruissellent en flots d’or, dont la bouche vermeille s’entr’ouvre en souriant pour nous laisser compter les perles d’Ophir, laisse dans l’ame une si délicieuse impression, que la foi naît de la reconnaissance. Le gland devenu chêne nous élève à Dieu en nous montrant toute l’impuissance de nos spéculations ; la jeune fille devenue femme nous offre l’image du bonheur et nous conduit au pied de l’autel pour remercier le Créateur, qui nous a fait un tel présent. M. de Lamartine n’a jamais été mieux inspiré. Il serait trop facile de relever çà et là quelques négligences ; je renonce à les signaler. Quant à l’impression générale que j’ai reçue de ce poème, c’est une admiration que je voudrais ressentir plus souvent. Bien peu d’ouvrages m’ont ému aussi doucement, bien peu ont laissé dans ma mémoire une trace aussi lumineuse. Rien de factice, rien d’apprêté ; les pensées naissent sans efforts et s’ordonnent d’elles-mêmes ; la parole obéissante saisit l’idée à peine éclose et la revêt des plus brillantes couleurs. Depuis le vent qui mugit dans la ramure