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la première partie de cette pièce exprime en termes éloquens l’impuissance du langage humain à traduire les profondes émotions, les affections ferventes. Le poète essaie tour à tour tous les tons, toutes les images, et chaque fois qu’il a trouvé pour sa pensée une forme nouvelle, un accent plus sonore, il l’abandonne à la hâte, comme s’il désespérait de jamais rendre ce qu’il éprouve. Il veut peindre la femme qu’il aime, et la nature entière, interrogée dans toutes ses merveilles, ne suffit pas pour esquisser cette radieuse image. Il y a dans cette abondance, dans cette variété de comparaisons haletantes qui s’accumulent et s’effacent, un charme singulier qui attendrit le cœur et l’associe à la passion du poète. Si les sens parlent haut dans ce cantique amoureux, ils ne parlent pas seuls ; l’idéal se mêle aux peintures les plus séduisantes de la beauté visible, et la présence permanente de l’idéal donne à toutes les strophes une grandeur, une sérénité que la passion purement sensuelle n’atteindra jamais. Éclat du regard, mélodie de la voix, flots de la chevelure qui tour à tour voilent les yeux et se répandent sur les épaules comme un manteau, grace harmonieuse des mouvemens qui semblent réglés par une harpe invisible, soupirs plus émouvans que les paroles les plus tendres, sommeil visité par les rêves, le poète n’omet rien de ce qui peut nous expliquer son amour ; mais il ne s’arrête pas à la peinture de la beauté qui frappe les yeux : il franchit le monde des sens pour aborder le monde des idées pures. Au-delà du regard radieux qui ravit son regard, en extase, il aperçoit et il contemple avec bonheur une ame qui lui appartient tout entière, qui réfléchit son image, dont toutes les pensées, toutes les espérances se résument en lui. Jamais l’imagination la plus riche, l’esprit le plus exercé n’ont réussi à composer un tel tableau. Pour prêter à l’amour des accens si vrais, si pathétiques, pour assouplir la langue et trouver dans l’assemblage des mots tantôt le chuchotement des feuilles agitées par le vent, tantôt le gazouillement du ruisseau qui vient mourir sur les cailloux et la mousse, l’habileté ne suffit pas : il n’y a qu’un cœur vraiment épris qui puisse opérer de tels prodiges. La langue refuserait d’obéir à l’esprit qui voudrait se souvenir de ce qu’il a vu, mais elle répète comme un écho docile tout ce que le cœur a senti. C’est dans la sincérité du poète que nous devons chercher l’origine et la vie des images que nous admirons, ingénieux et discret, s’il n’eût pas éprouvé les émotions qu’il essaie de peindre, tous ses efforts viendraient échouer contre la parole rebelle ; ému, passionné, les mots s’échappent de sa bouche comme l’eau jaillit d’une source vive. La poésie ainsi comprise n’est plus une œuvre de l’esprit, mais un cri de l’ame ; l’art disparaît tout entier dans la spontanéité de la pensée, ou plutôt n’est-ce pas là le comble de l’art ?

La première partie de ce cantique amoureux rappelle plus d’une fois le cantique de Salomon. Cependant il n’y a pas une strophe qui soit