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amertume. L’admiration que j’ai professée en toute occasion pour le génie lyrique de M. de Lamartine me dispense de toute apologie. Je ne cède pas au besoin de blâmer ; je n’éprouve aucune joie à compter les taches que je découvre dans les œuvres éclatantes. Bien que le langage de l’auteur, en parlant de lui-même, me prouve très clairement qu’il ne tiendra jamais aucun compte de mes réflexions, bien que M. de Lamartine affiche pour la critique un dédain superbe, je ne crois cependant pas hors de propos de soumettre à la discussion les Méditations et les Harmonies.

En lisant les Confidences et Raphaël, je regrettais de voir ramener aux proportions de la réalité la plus prosaïque les odes, les élégies qui avaient enchanté ma jeunesse : les commentaires publiés aujourd’hui donnent tristement raison aux craintes que j’exprimais après avoir achevé cette lecture. Pour donner à ma pensée plus de relief et d’évidence, pour imposer silence aux flatteurs agenouillés, pour réduire à néant le reproche de dénigrement, je veux dire d’abord les sentimens que m’ont inspirés les Méditations et les Harmonies. Les Recueillemens poétiques, le Chant du Sacre, la Mort de Socrate, le Dernier chant du Pèlerinage de Childe-Harold, ne nous apprennent rien sur le talent lyrique de M. de Lamartine. Jocelyn continue heureusement les Harmonies. Quant à la Chute d’un Ange, bien que l’idée-mère soit pleine de grandeur, bien que plusieurs épisodes soient traités avec une hardiesse d’imagination que je me plais à reconnaître, la forme est tellement imparfaite, tellement confuse, que ce serait calomnier l’auteur que de vouloir le juger sur une telle œuvre. Pour rendre à M. de Lamartine toute la justice qu’il mérite, pour louer dignement son génie, il faut s’en tenir aux dix premières années de sa vie littéraire, c’est-à-dire aux Méditations et aux Harmonies.

J’adopte volontiers la pensée de l’auteur sur lui-même quand il dit que les Méditations étaient attendues, et qu’elles ont été applaudies, lues et relues avidement, parce qu’elles répondaient à un besoin général. Oui, je crois comme lui que les Méditations traduisent, sous la forme lyrique, les sentimens exprimés déjà avec tant d’éloquence par Jean-Jacques Rousseau et Bernardin de Saint-Pierre. Il est certain que Parny ne pouvait suffire à la génération nourrie de la Nouvelle Héloïse et des Études de la Nature. L’amant d’Éléonore n’avait chanté que le plaisir : la France attendait un poète qui chantât la passion, qui, prenant l’amour au sérieux, en célébrât d’une voix attendrie toutes les joies, toutes les douleurs, toutes les espérances, tous les regrets. C’est pour avoir clairement compris le sentiment qui animait la génération nouvelle que M. de Lamartine est devenu populaire le lendemain de son début. À peine avait-il parlé, que tous les cœurs ont répondu à sa voix comme un écho fidèle. Disciple fervent de Jean-Jacques Rousseau