Page:Revue des Deux Mondes - 1851 - tome 10.djvu/910

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dimanche pour la Louison, qu’elle se tient là écoutant l’herbe pousser et les mains sous sa devantière ?

— Faites excuse, Michelle, répondit la fillette d’une voix doucement timbrée ; mais les pauvres gens ne sont pas plus robustes que Dieu le créateur, qui a eu besoin de se reposer.

— Voyez-vous ça ! dit la boisière, qui se tourna de mon côté comme si elle eût voulu me rendre complice de ses moqueries ; c’est une savante, oui ! le Bon-Affût lui a appris à lire dans l’imprimé, et les murs de la ferme sont tapissés d’images que lui a données M. le curé.

— Tout le monde ne peut pas avoir sa chambre comme la jolie Michelle adournée des cadeaux de ses amoureux, fit observer la petite.

Bruno eut l’imprudence de rire de cette innocente malice, ce qui parut faire perdre à Michelle tout son sang-froid. — Si les amoureux sont honnêtes pour moi, c’est que je ne leur fais pas honte, reprit-elle en jetant un regard expressif sur les pauvres habits de l’orpheline ; mais consolez-vous, la Rousse, voici un galant qui n’a point tant de braverie et qui vous cherche. Allons, le beau gars, ouvrez votre barillet et offrez à celle-ci vos friandises de mendiant.

Je voulus m’entremettre pour donner une autre tournure à l’entretien ; mais Michelle avait une piqûre au cœur, et, quoi que je pusse dire, elle reprit toujours l’offensive. Bruno, qui s’était assis près du seuil sur une pierre, écoutait avec impatience. Quant à Louison, elle fut quelque temps sans sentir les coups et riant des sarcasmes de Michelle : elle jouait avec sa colère comme un enfant avec des armes dont il ne se défie pas, mais la boisière finit par trouver le joint du cœur en lui demandant méchamment si les Louroux ne l’habilleraient point de neuf pour la prochaine fête de Plessé. Elle faisait sans doute allusion à quelque avanie précédemment infligée à l’orpheline pour son pauvre costume, car je la vis tout à coup rougir et balbutier. Michelle, qui comprit que le coup avait porté, redoubla avec la cruauté d’une femme qui se venge ; elle n’épargna à la Louison aucune raillerie sur ses misérables vêtemens, énuméra tout ce qui lui manquait, et finit par une description complaisante du nouvel habit que faisait pour elle le tailleur de Niort. La Louison, qui jusqu’alors avait eu la réplique si libre, écouta tout sans répondre et la tête basse. Évidemment, la cruelle insistance de la boisière, après lui avoir rappelé quelque pénible souvenir, venait d’éveiller ses innocentes coquetteries. Ramenée à ce désir de parure qui n’est chez la femme qu’une des formes du besoin de plaire, elle était passée presque subitement de son insouciante gaieté à toutes les amertumes de la honte et du souhait sans espoir. Debout près de la porte, elle roulait de son petit pied nu quelques feuilles que le vent avait poussées jusqu’au seuil ; des mèches de cheveux couleur d’or bruni voilaient son visage, et une de ses mains arrachait avec distraction