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des fonctions publiques, et qui ont cherché dans des œuvres utiles un moyen d’exercer leur activité dédaignée. Le cabinet de Vienne a vu naître ces écoles sans ombrage ; durant sa longue carrière ministérielle, M. de Metternich les a regardées comme un élément de cette bonne administration par laquelle il aurait voulu faire oublier la liberté absente et la nationalité perdue. Dans la Sardaigne, l’école industrielle de Novare, fondée, il y a une quinzaine d’années, par un grand acte de munificence individuelle, reçoit des enfans des deux sexes dans des bâtimens spéciaux, et se préoccupe à la fois d’exercer leurs forces physiques par la pratique de divers métiers et d’éclairer leur esprit par l’instruction élémentaire.

Ainsi, le sentiment plus ou moins prononcé des besoins de l’éducation professionnelle pour les classes laborieuses se retrouve à peu près partout ; mais en réalité cet enseignement n’existe guère encore qu’à l’état d’ébauche. Nulle part il n’est mis d’une manière assez libérale et assez complète à la portée des familles ouvrières. Il y a seulement une tendance plus ou moins marquée à s’avancer dans cette voie. Laissant de côté les résultats obtenus, si nous comparions les exigences particulières créées par la situation des divers pays, nous verrions surgir des différences encore plus frappantes. Les états du Nord ont d’autres besoins que ceux du Midi. Les intérêts économiques ont généralement pris dans les premiers un essor beaucoup plus rapide et beaucoup plus étendu que dans les autres. Ce n’est pas pourtant que le génie industriel manque aux nations méridionales ; mais ce génie s’y tourne de préférence vers l’art. Le sentiment délicat des proportions et des formes, l’idée du beau, passent avant la recherche de l’utile. Sans aller prendre bien loin nos exemples, mettons en parallèle les productions de nos cités méridionales, Lyon, Saint-Chamond, Tarare, Nîmes, etc., avec les articles analogues fabriqués en Angleterre. On reconnaît bien vite que ce n’est pas ici qu’excelle l’industrie manufacturière de nos voisins ; ses produits plus communs visent à se rendre accessibles à l’immense majorité des consommateurs. En outre, les nations du Nord se distinguent par une plus grande intelligence du négoce, par le goût des spéculations et des entreprises. L’éducation commerciale est chez elles fort avancée, et s’y fait toute seule pour ainsi dire, tandis qu’elle est à peu près nulle chez les peuples du Midi.

Ces distinctions étaient indispensables pour qu’on pût apprécier la situation relative des états européens, et se rendre compte du but vers lequel doit principalement tendre dans chaque contrée l’éducation professionnelle des masses : il s’agit maintenant de savoir en quelle mesure la France s’associe au mouvement qui pousse les sociétés modernes à rendre l’instruction spéciale dans tous les rangs, et quelles sont les ressources que possède notre pays en fait d’enseignement industriel.