Page:Revue des Deux Mondes - 1851 - tome 10.djvu/832

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Le drame de Punch and Judy, qui fait les délices de la multitude anglaise, a commencé, vers les premières années du XIXe siècle, à piquer la curiosité blasée du monde élégant. Aussi a-t-il reçu depuis lors de nombreuses retouches et des embellissemens plus ou moins heureux. Le Morning Chronicle du 22 septembre 1843 rend compte d’une de ces rédactions nouvelles et plus raffinées. — Punch, dans cette pièce, en proie, comme un second Zéluco, à une jalousie frénétique, donne la mort à sa femme et à son fils ; puis il passe en Espagne, où il est jeté dans les cachots de l’inquisition, dont il parvient à s’ouvrir les portes au moyen d’une clé d’or. Attaqué par la Pauvreté que suivent ses deux acolytes, la Dissipation et la Paresse, il la combat sous la forme qu’elle prend d’un chien noir et la met en fuite. Il triomphe également de la Maladie, qui l’accoste sournoisement sous le costume d’un médecin. La Mort, à son tour, veut le saisir ; mais il secoue si bien les os desséchés du vieux squelette, qu’il lui donne enfin à elle-même le coup de la mort[1]. Parmi les autres rédactions qui portent le cachet de l’humour britannique, j’en signalerai une encore où l’on applaudissait une conversation assez originale entre Punch et Barbe-bleue sur la question si intéressante pour les deux sexes de la pluralité des femmes.

Ce n’est aucune de ces versions enjolivées, c’est le texte pur et populaire de la Tragical comedy of Punch and Judy que M. Payne Collier a publié, en 1828, avec les jolies illustrations de George Cruikshank. Ce texte a été en grande partie fourni à l’éditeur par un vieux joueur de marionnettes italien, nommé Piccini, qui, à la fin du dernier siècle, parcourait les villes et les hameaux d’Angleterre avec de jolies marionnettes apportées de son pays. Devenu avec les années plus célèbre et moins ingambe, Piccini fixa sa résidence à Londres. Vers 1820, il ne promenait plus son petit théâtre que dans le voisinage classique de Drury-Lave. Il avait joué d’abord Pulcinella dans sa langue natale ; mais peu à peu il avait saisi le vrai caractère et l’accent de Punch et finit par adopter le canevas plus sombre que préférait le goût national. L’éditeur de Punch and Judy, pour obtenir un texte tout-à-fait satisfaisant, a dû confronter le manuscrit de Piccini avec ceux de plusieurs autres puppet-players ambulans. Ainsi Punch, après avoir eu ses rapsodes, comme Homère, a trouvé comme lui un Aristarque. Il y a plus, Punch and Judy, cette création sensuelle et sceptique où se heurtent la vie et la mort, le rire et le meurtre, le surnaturel et le trivial, a fait vibrer une des cordes de la lyre de lord Byron. Voici un sonnet attribué à l’auteur de Childe Harold et du dernier Don Juan. Je le traduis, comme M. Payne nous le donne, sans en garantir l’attribution :

Triomphant Polichinelle, je te suis avec joie à travers les gais détours de

  1. Punch and Judy, p. 68 et 69.