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mais il a négligé malheureusement de nous montrer le théâtre et les deux puppets, qui auraient eu pour nous un intérêt particulier.

L’auteur du second Conte du tonneau, tout en frappant rudement Robert Walpole sous le nom et le costume de M. Powell, nous fait connaître, chemin faisant (surtout dans son avant-propos), plusieurs des meilleurs opera-puppets composés ou arrangés par l’habile M. Powell. Il cite comme faisant couler bien des larmes the Children in the wood (les enfans dans la forêt), tirés d’une touchante ballade populaire, — King Bladud, peinture héroïque d’un vrai roi patriote, — Friar Bacon and friar Bungay, — Robin Hood and Little John, — Mother Shipton - et Mother Goose (ma mère l’Oie). Quant au caractère de Punch, il ne l’indique encore que comme celui d’un bouffon qui provoque le rire par ses impertinences et ses quiproquo.

C’est à cet âge d’or des marionnettes anglaises qu’il faut, je crois, rapporter une suite de strophes composées par Swift sur les puppet-shows. Je traduis cette pièce où l’auteur, à un brillant filet d’imagination poétique, mêle, suivant le tour de son génie, un flot encore plus abondant de verve capricieuse et sarcastique :


LE SPECTACLE DES MARIONNETTES.

Pour représenter la vie humaine et montrer tout le ridicule qu’elle contient, l’esprit a inventé le spectacle des marionnettes, dont le principal acteur est un fou.

Les dieux de l’antiquité étaient de bois, et les marionnettes eurent jadis des adorateurs. L’idole se tenait droite et parée d’une robe antique ; prêtres et peuple courbaient la tête devant elle.

Qu’on ne s’étonne pas que l’art ait commencé par façonner des figurines votives et tailler un bouffon dans un soliveau, ni qu’on ait songé à consacrer ce bloc à la renommée.

Ainsi la fantaisie poétique a appris que les arbres peuvent recevoir des formes humaines, qu’un corps peut se changer en tronc, et des bras s’allonger en branches.

Ainsi Dédale et Ovide ont reconnu, chacun à sa manière, que l’homme n’est qu’une souche. Powell et Stretch ont poussé cette idée plus loin : pour eux, la vie est une farce et le monde une plaisanterie.

La compagnie de la mer du Sud prouve aussi cette grande vérité sur le fameux théâtre qu’on appelle la bourse. Les directeurs tiennent les fils, et à leur impulsion obéissent des milliers de niais, tristes monumens de folie.

Ce que Momus fut jadis pour Jupiter, Arlequin l’est aujourd’hui pour nous le premier fut un bouffon dans l’Olympe, l’autre est un polichinelle ici-bas.

La scène changeante de la vie n’est qu’un théâtre où paraissent des figures de toute sorte. Jeunes gens et vieillards, princes et paysans s’y partagent les rôles.

Quelques-uns attirent nos regards par une fausse grandeur, trompeuse apparence qui empêche d’apercevoir que l’intérieur est de bois. Que sont nos législateurs sur leurs sièges de parade ? Bien souvent des machines qui ont l’air de penser.