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Italie, en France, en Espagne, et il n’ignore aucun des procédés à l’usage des plus habiles mécaniciens de l’Allemagne. Il impute à son adversaire d’être un brouillon et un dangereux niveleur, qui voudrait introduire l’insubordination dans sa troupe et persuader notamment à l’honnête Punch de briser les fils qui font mouvoir ses mâchoires complot odieux, car c’est par le droit le plus légitime, par le droit de création, qu’il est maître absolu de sa petite troupe, pouvant, si bon lui semble, allumer sa pipe avec une jambe de M. Punch, ou même se réchauffer les doigts avec sa carcasse.

En janvier 1710, nous voyons les puppets de M. Powell et ses drames quelque peu fantastiques fort bien accueillis, non plus seulement à Bath, mais à Londres même. Punchinello et sa grondeuse compagne, accompagnés du docteur Faust, faisaient, suivant le Tatler, pâlir le nouvel opéra italien de Hay-Market, et lui enlevaient la meilleure partie de son brillant auditoire. Punchinello surtout balançait, dans l’opinion du beau sexe, le mérite du fameux chanteur Nicolini[1].

Au commencement de l’année suivante (1711), M. Powell établit son théâtre sous les petites galeries de Covent-Garden, du côté opposé à l’église paroissiale de Saint-Paul. Dans le numéro quatorze du Spectateur, Steele suppose qu’il a reçu un billet du sous-sacristain de cette paroisse tout rempli des doléances de ce fonctionnaire vexé. Depuis vingt ans, ce brave homme n’a pas manqué six fois de sonner l’heure de l’office ; mais il éprouve, depuis quinze jours, une extrême mortification en voyant ses habitués cesser de se rendre à son pieux appel. C’est que M. Powell a choisi précisément l’heure de la prière pour celle de l’ouverture de son puppet-show. Le digne sacristain, fort scandalisé d’annoncer le commencement d’un jeu profane au lieu d’un exercice de piété, demande à M. le Spectateur ce qu’il doit faire pour éloigner ce M. Punchinello, ou le forcer du moins à choisir pour ses ébats des heures moins canoniques[2]. La pièce de M. Powell, qui enlevait ainsi ses paroissiens à l’église de Saint-Paul, était tirée d’une légende très populaire, Whittington et son Chat, ou Whittington trois fois maire de Londres. Ce conte, que l’on retrouve chez presque toutes les nations commerçantes du monde, en Italie, en Bretagne, en Portugal, en Orient même, est l’histoire d’un pauvre marmiton qui n’avait rien qu’une chatte à remettre pour pacotille au patron d’un vaisseau de commerce partant pour les Indes. On embarqua pourtant, par plaisanterie, le chat sur le navire. Or, ayant relâché dans une île qu’infestait une multitude de rats, le patron pensa que la chatte et les petits qu’elle avait faits pendant, la traversée seraient de bonne défaite en ce pays,

  1. The Tatler, n° 115, 3 janvier 1709-10. L’année commençait encore à Pâques en Angleterre.
  2. The Spertator, n° 14,16 mars 1710-11.