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puppet-shows ne furent pas atteints par cette proscription. La tolérance exceptionnelle dont ils jouirent est nettement établie dans une supplique que les comédiens de Londres adressèrent au parlement le 24 janvier 1643. Ces pauvres gens se plaignaient dans cette pièce du silence qu’on leur imposait et de la clôture qui frappait les théâtres réguliers, tandis qu’on autorisait les combats de taureaux et les jeux de marionnettes[1]. Libres de toute concurrence, il ne paraît pas que les motion-men se soient fort ingéniés pour accroître leur répertoire durant cette époque, pour eux prospère. Je ne puis, en effet, ajouter qu’un seul titre à la liste que j’ai déjà donnée de ce genre de pièces ; mais ce titre présente un intérêt particulier, parce qu’il indique un puppet-show sur le sujet du Paradis perdu, et que, par une rencontre singulière, ce renseignement nous est fourni par Milton. En 1643, vingt ans avant la publication de son chef-d’œuvre, ce grand homme adressait au parlement un éloquent plaidoyer pour la défense de ce que nous appelons aujourd’hui la liberté de la presse (Areopagitica, a speech for the liberty of unlicensed printing). L’auteur dans les premières pages, voulant établir les bases légitimes de la liberté humaine, dit : « il y a des gens qui osent blâmer la divine Providence d’avoir permis qu’Adam péchât. Folles langues ! Lorsque Dieu donna la raison à l’homme, il lui donna la liberté de choisir, car choisir est proprement user de la raison. Autrement, notre premier père n’aurait été qu’un Adam mécanique, comme l’Adam qu’on voit aux marionnettes. » Non-seulement, pendant la fermeture des théâtres, les puppet-plays étaient représentées librement dans tout le royaume, mais les joueurs de marionnettes de Norwich, alors très en vogue, venaient montrer à Londres leurs meilleurs opera-puppets. Je trouve cette indication au milieu de beaucoup d’autres, également curieuses, dans une pièce de William Davenant intitulée la Salle de spectacle à louer, sorte de pot-pourri dramatique que ce poète ingénieux obtint de faire représenter en 1656, malgré l’édit de suppression, en y insérant contre les Espagnols un épisode conforme aux vues de Cromwell, qui préparait alors un armement contre Philippe IV[2].

La restauration rendit la vie aux théâtres. Affranchis de ce long silence, poètes et comédiens déployèrent une excessive activité. Les motion-men,

  1. The actor’s remonstrance or complaint for the silencing of their profession and banishment from their several play-houses. Voyez M. Payne Collier, the History o f English dramatic poetry, t. II, p. 110.
  2. C’est ici un conseil amical donné par Swift au docteur irlandais Thomas Sheridan, ou plutôt à son jeune fils, nommé aussi Thomas, pour le détourner du goût précoce qu’il montrait pour le théâtre. Ces deux Sheridan, hommes d’esprit et de mérite, sont l’aïeul et le père de l’illustre Richard Brinsley Sheridan.