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permanentes, à Paris-Garden entre autres[1], et dans les quartiers les plus populeux de la Cité, à Holborn-Bridge et à Fleet-street[2]. La curiosité poussait même souvent la foule hors de Londres, à Eltham, par exemple, résidence royale, dans le comté de Kent, dont les motions étaient célèbres. Jasper Mayne, dans sa pièce intitulée the City match, fait allusion à la coutume qu’avaient les femmes de Londres d’aller à Brentford voir les marionnettes[3]. Ce divertissement était aussi fort recherché dans les provinces. On comptait les marionnettes au nombre des plus agréables passe-temps que pût se procurer la gentry. Dans une comédie de Ben Jonson, Cynthia’s Revels, un personnage allégorique (Phantaste), énumérant les plus doux plaisirs dont une femme puisse espérer de jouir dans les diverses conditions de la vie, dit :

Si j’étais fermière, je voudrais aller danser aux may-poles et faire des fromages de lait et de fruits aigres ; si j’étais la femme d’un gentilhomme campagnard, je voudrais tenir une bonne maison et aller à la ville les jours de fête voir les marionnettes[4].

Quelquefois de graves provinciaux venaient chercher ce divertissement jusqu’à Londres, comme on le voit dans Every man out o f his humour, de Ben Jonson. Ajoutons que les motion-men transportaient souvent leurs petits acteurs de bois chez les riches bourgeois et négocians de la Cité pour égayer les réunions de famille. Il arrivait même quelquefois que des particuliers contribuaient de leur adresse et de leur esprit à l’agrément de ces spectacles. C’est ainsi que Ben Jonson nous montre, dans la dernière pièce qu’il ait donnée au public (the Tale of a tub), un jeune esquire qui offre à ses parens et à ses voisins le régal d’un puppet-show dont il est à la fois le sujet et l’inventeur. Sous Henri VII, il y avait même dans les rues de Londres des joueurs de marionnettes étrangers. Une lettre du conseil privé, adressée au lord maire le 14 juillet 1573, autorise quelques Italiens à montrer leurs strange motions dans la Cité[5].

Quant aux procédés de mise en scène, nous avons vu précédemment qu’en Italie, en France et en Espagne il y avait eu deux sortes de jeux de marionnettes : ceux où les petites figures étaient muettes, et ceux où elles étaient supposées parler. Il en a été de même en Angleterre.

  1. Voy. John Hall, Satires, Book IV, sat. 1 (1599), et Thomas Nash, Strange-newes, etc., 1592.
  2. Punch and Judy, p. 29. Ben Jonson indique Fleet-bridge. Evey man out of his humour, acte II, sc. I ; Works, t. II, p. 66 et la note.
  3. Cynthia’s Revels, acte IV, sc. I ; Works, t. II, p. 297. Le texte dit to term, aux jours fériés ; dans une autre pièce, on lit : every term, ce que M. Gifford explique par law-terms, c’est-à-dire les époques légales de repos et de plaisir. Voy. Every man out of his humour. — Works, t. II, p. 7.
  4. Cette pièce à tiroirs, où la détresse des comédiens est peinte avec autant de vérité que d’humour, est intitulée Play-house to be let, containing the history of sir Francis Drake and the cruelty of the Spaniards in Peru, expressed by instruments and vocal music. M. Payne Collier s’est trompé en donnant à ce drame, composé pour servir les desseins de Cromwell, la date de 1663 et ailleurs celle de 1673 (the History of English dramatic poetry, t. III, p. 323 et 424) ; ces dates sont celles de l’impression.
  5. Voyez G. Chalmers, Farther account on the early English stage ; ap. Malone’s Shakspeare by Boswell, t. III, p. 430, note.