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de l’Écriture sainte, qui avaient alors un si grand succès à Eltham, qu’on les y représentait du matin au soir[1].

À ces diverses façons de nommer les marionnettes et les puppet-shows ; il faut en ajouter une dernière qui présente une nuance encore différente. Dans le troisième acte de la Tempête, un vieux roi de Naples est jeté par un naufrage sur la plage d’une île enchantée où il est accueilli par un concert qu’exécutent des musiciens invisibles. Une troupe de petits gnômes s’empresse de lui servir un splendide repas et forme autour de la table une danse muette entremêlée de gestes engageans. « Quels sont ces petits êtres ? demande le roi surpris. — Dieu me pardonne ! reprend un autre naufragé, c’est une troupe de marionnettes vivantes (a living drollery) ! Je croirai désormais que la licorne existe et qu’il y a en Arabie un arbre qui sert de trône au phénix[2]. » Ainsi, suivant la remarque de Steevens, le mot drollery signifiait, du temps de Shakspeare, une farce jouée par des acteurs de bois (by wooden machines), puisque la seule addition de l’épithète living suffit pour faire de ces petites personnes un phénomène non moins merveilleux que la licorne ou le phénix. De nos jours et depuis le milieu du dernier siècle, on n’appelle plus drolls ou drolleries que les farces ou parades qu’un bateleur et son compère jouent en plein air à la porte des théâtres forains.

En résumé, les Anglais ont eu, comme on voit, quatre mots qui répondent à autant de sortes de marionnettes, puppet, mammet, motion et drollery.


III. – MARIONNETTES ANGLAISES DEPUIS LE XIVe SIECLE JUSQU’A L’ETABLISSEMENT DU THEÂTRE REGULIER (1562).

Le début des marionnettes a été en Angleterre, comme chez tous les peuples, la reproduction en miniature, et à peu de frais, des mystères et des miracle-plays que les membres de diverses confréries jouaient en grande pompe aux jours solennels. L’avantage que les motion-men avaient sur les joueurs de mystères était de pouvoir promener leur léger théâtre de paroisse en paroisse et montrer, à toutes les époques de l’année et plusieurs fois par jour, leurs édifiantes merveilles. Outre les scènes tirées des mystères, ils reproduisaient encore les personnages et les épisodes que la foule admirait le plus dans les may-poles et les pageants, surtout les héros des ballades nationales, le roi Bladud,

  1. Un contemporain de Ben Jonson, Peacham, donne à une motion jouée à Eltham l’épithète de divine, probablement à cause du sujet qu’elle représentait. Ben Jonson parle encore des motions d’Eltham dans sa XCVIIe épigramme. Voyez, Works, t. VIII, p. 209.
  2. Tempest, acte III, se. iii, et la note de Steevens. Voyez aussi une note très développée de M. Gifford, the Bartholomew Fair ; Works of Ben Jonson, t. IV, p. 370. Cf Beaumont and letcher, Valentinian, acte, II, sc II.