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ont fourni un nombreux contingent, et, en combinant avec les révélations de la littérature les révélations de l’histoire, il a fort bien montré ce qu’était la vieille royauté française, l’identité d’intérêts qui unissait sa cause à celle du peuple, comment et pourquoi elle était populaire. M. Moland n’appartient à aucune école monarchique ; il ne prend point parti pour une famille plutôt que pour telle autre, et, placé sur la limite souvent indécise de l’érudition et de la polémique, il reste toujours sur le terrain de l’érudition et de la philosophie politique. — Suivant lui, la royauté ne fut pas seulement une institution tutélaire, mais aussi une institution libérale à laquelle le pays dut sa force de résistance et sa force d’expansion, la douceur et la bienveillance des mœurs, la noble indépendance du caractère national. Profondément identifiée avec la grande famille française, il était dans son intérêt de s’appuyer de préférence, et pour ainsi dire avec plus d’affection, sur la partie du peuple dont la condition a surtout besoin d’être améliorée ; et, en effet, son rôle dans la France du moyen-âge a été de traduire, dans une application ferme et prudente, l’éternelle aspiration de l’humanité vers une organisation sociale de moins en moins imparfaite. Expression providentielle de l’autorité, la royauté a sauvegardé l’ordre moral et religieux, en veillant, armée du droit et du glaive, sans défaillances et sans transactions, sur ce dépôt sacré ; elle s’est constituée et perpétuée par la volonté nationale, et de la sorte elle a reçu de la démocratie elle-même une force nouvelle. Son rôle, qui a commencé avec la nation, ne doit finir qu’avec elle, et, si le passé est réellement l’enseignement de l’avenir, on peut penser, d’après la leçon des siècles, que la royauté est encore aujourd’hui le gouvernement qui convient le mieux à la France, et celui qui peut opposer à la désorganisation sociale la résistance la plus énergique et la plus efficace. Telles sont les conclusions pratiques de l’étude historique de M. Moland. Ces conclusions trouveront sans aucun doute plus d’un contradicteur ; mais, qu’on les adopte ou qu’on les contredise, on doit reconnaître qu’elles sont très habilement et très logiquement tirées des faits mêmes réunis dans le livre. L’auteur, qui possède une connaissance étendue des institutions et des mœurs du moyen-âge, ne s’arrêtera pas, nous l’espérons, à ce premier essai. Les travaux sérieux qui réunissent l’érudition et l’idée sont assez rares de notre temps pour qu’on s’empresse de les signaler, lors même que l’on se trouve, sur certains points de doctrine, en dissidence avec les auteurs.


CH. LOUANDRE.


ESSAI D’UNE THÉORIE DU STYLE, par M. Edmond Arnould[1], — Comme l’observe judicieusement M. Arnould lui-même, une oeuvre de théorie littéraire semble peu de circonstance. Un présent incertain, un avenir plein de dangers, ne laissent guère de place aux questions de rhétorique, et les rendent d’un médiocre attrait. Ce dédain est-il raisonnable cependant ? Nous ne le croyons pas. La même loi qui préside à l’ordre du monde préside à l’ordre des pensées, et à peine le trouble s’est-il manifesté dans les discours de l’homme, qu’il éclate dans la société. Sans aller chercher loin de nous la preuve de cette vérité, qu’on se rappelle la littérature qui a précédé la révolution de février : le goût de l’étrange, l’amour de l’excessif, le dédain fastueux du simple pour l’é-,

  1. 1 vol. in-8o, chez Hachette, 14, rue Pierre-Sarrasin.