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s’est assuré la possession de Gibraltar à l’entrée de la Méditerranée, et d’Aden à l’issue de la mer Rouge. C’est ainsi qu’elle plante son pavillon à l’embouchure de tous les grands fleuves pour les ouvrir ou les fermer à son gré. En Asie, elle est maîtresse du Gange ; dans l’Amérique du Nord, elle partage le Saint-Laurent ; dans l’Amérique du Sud, elle s’avance par le Rio-Blanco vers l’Amazone ; en Afrique, elle commande l’entrée du Niger. Elle occupe un des rivages du détroit de Torrès, qui unit la mer des Indes à l’Océan Pacifique, et tout récemment elle vient de s’assurer, au moyen d’un traité avec les États-Unis, le passage de l’isthme de Panama.

Aujourd’hui, le commerce entre le Soudan et l’Angleterre par Tripoli est encore peu de chose. Ghat offre cependant un intérêt particulier, qui a déterminé sans doute le docteur Richardson à y faire un long séjour. C’est un marché libre, où se font les échanges des marchandises d’Europe et de celles du Soudan. Le missionnaire anglais y a vu venir des caravanes de Kanou, de Bornoua, de Touat, du Fezzan, de Souf, de Ghadamès, de Tripoli, de Tunis et de la côte septentrionale d’Afrique. Pendant le séjour de M. Richardson à Ghat, le nombre des commerçans avait été d’environ cinq cents, qui avaient employé mille cinquante chameaux pour le transport de leurs marchandises. Ces caravanes apportaient des esclaves, des dents d’éléphant, des cotons indigènes, des plumes d’autruche, des parfums, des noix de gouro, du séné, etc. La valeur de ces exportations sur le marché même de Ghat pouvait s’élever à 900,000 francs, et au double de cette somme sur les marchés d’Europe. En outre, les marchands de l’intérieur avaient fourni une quantité considérable de peaux d’animaux et de cuirs préparés, des cuillers, des bols et autres ustensiles en bois, des sandales, des peignes en bois, des coussins de cuir, des sacs, des bourses, des bouteilles et des outres pour contenir l’eau dans le désert, des armes telles que javelots, lances, dagues, larges épées dont les lames proviennent des manufactures européennes ou de celles des États-Unis. Nous ne parlons pas des objets de consommation, tels que le beurre liquide, un certain fromage très fort, du bœuf coupé en tranches et séché sans sel au soleil, du poivre d’une force extraordinaire, des fruits à coquilles, etc. Quant au coton, qu’on fabrique en grande quantité au Soudan, la teinture en est mauvaise. Les Africains se bornent à couper l’indigo et à le placer dans l’eau avec l’étoffe qu’ils veulent teindre. Ils retirent cette étoffe après un intervalle de temps assez court, ils la font sécher, et ils la glacent avec de la gomme. Les femmes de race blanche qui portent des cotons ainsi préparés ont le bout du nez, les pommettes des joues, le menton et les mains noirs. Du reste, la propreté n’est pas une des qualités des habitans et des habitantes du désert, qui se servent de sable pour faire leurs ablutions.

Quant aux articles d’importation provenant d’Europe, ce sont des étoffes de soie et des draps de qualités inférieures et de couleurs très vives, de petits miroirs, des bracelets en bois peint, des lames d’épée, des aiguilles, du papier, des gants, etc. La monnaie en circulation est principalement espagnole ; pourtant on voit beaucoup de pièces de cinq francs dans les oasis depuis que nous occupons l’Algérie. Un jour M. Richardson demanda à un marchand de Ghadamès pourquoi les musulmans préféraient la monnaie des infidèles à celle