Page:Revue des Deux Mondes - 1851 - tome 10.djvu/753

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pittoresques ; la température y est plus variée et moins uniformément brûlante ; la zone des terres cultivables, couverte de broussailles, d’herbes et de plantes qui meurent de soif, offre un spectacle pénible, surtout à l’homme civilisé, qui pense qu’habitée par une race active et industrieuse cette région pourrait produire de belles moissons. Malheureusement tout est contraire à l’exploitation des terres sahariennes : le gouvernement, la religion et les hommes. Le gouvernement turc, qui domine dans une grande partie du désert, s’est établi par le massacre et le ravage ; il ne se maintient que par un système d’exactions et de razzias ; la religion inspire à l’habitant un fatalisme indolent et commode, qui laisse à Dieu le soin de tout faire ; l’homme, qui subit l’influence du climat, consacre à la prière et au sommeil les deux tiers de sa vie. Aussi aperçoit-on souvent dans le désert des espaces de terrain où se remarquent encore des traces d’anciennes cultures que la guerre et la misère ont fait abandonner. Quant aux vagues de sable que le vent déplace, dit-on, si elles existent, c’est seulement dans les imaginations fécondes. Les montagnes de sable, dans le Sahara, présentent devant les pas du voyageur un sol ferme et stable, et elles sont solidement assises au même endroit depuis des siècles. Ce n’est pas une faible tempête qui pourrait les déraciner et les renverser de leur base ; il ne faudrait pour cela rien moins que la main de Dieu, manifestée dans une de ces profondes commotions, dans une de ces révolutions du globe qui changent la mer en montagnes et les montagnes en océan. Sans doute le vent soulève, dans ces vastes espaces, le sable et la poussière en assez grande quantité pour incommoder les caravanes et pour y propager les ophthalmies ; mais il y a loin de ces ouragans, les seuls véritables, à ces prétendus tourbillons de sable, à ces monts entiers que la tempête enlève, a-t-on dit, et laisse retomber ensuite sur les caravanes englouties.

La chaleur, dans le Sahara, est intolérable pendant l’été. À midi, ceux qui affrontent la traversée du grand désert sont pantelans, exténués, hors d’état de faire un geste ou un signe, étendus à terre, sans voix, sans mouvement. Chaque aspiration jette du feu dans leurs poumons. Un tel état ne pourrait se prolonger sans suffocation. En hiver, au contraire, le vent du désert est très froid, malgré le voisinage de l’équateur, et les vêtemens de laine à capuchon sont à peine assez épais pour combattre les atteintes d’une bise glacée. La nuit, les voyageurs se roulent, sans ôter leurs vêtemens, dans des couvertures. Un noir nommé Saïd, un compagnon du voyageur anglais que nous voudrions suivre dans son excursion de neuf mois au Sahara, M. Richardson, avait coutume de s’envelopper avec plusieurs autres Africains de la caravane dans la toile de la tente de son maître ; ces peaux noires, si sensibles au froid, se réchauffaient ainsi l’une l’autre. En général, les esclaves conduits par les caravanes couchent sur la terre nue, sans abri et sans protection contre le vent glacial. Ce n’est là pourtant que la moindre de leurs misères.


I. — ROUTE À TRAVERS LE DESERT.

C’est de Tripoli que M. Richardson est parti pour son voyage dans le désert. Les Anglais exerçaient alors sur Tripoli une suzeraineté à peine déguisée. Le