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les marécages, et la vapeur qui s’en élève, surtout à l’approche de la nuit, pénètre avec la respiration dans les poumons, s’infiltre par tous les pores, et cause dans l’organisation d’affreux ravages. Gardez-vous de porter à vos lèvres desséchées par l’ardeur du soleil tropical cette onde dormante et bleuâtre qu’abritent de hautes branches entrelacées, et qu’entoure une verte ceinture de plantes aquatiques. Les substances vénéneuses que mélangeait la main de Médée, le poison qui coule des crochets du terrible cobra capello, sont à peine plus dangereux que cette boisson si pure en apparence.

Pour vivre en Afrique, parlez-moi de la vaste étendue du désert, sans ombrage, sans verdure perfide, des eaux brunes et troublées qu’on découvre en creusant le sable, des vents brûlans et secs qui gercent la peau, qui aiguisent la soif en jetant dans la gorge une poussière impalpable. En effet, ne vaut-il pas mieux souffrir de la soif, de la chaleur et de la fatigue, que de respirer une fraîcheur venimeuse et de prendre un repos mortel ? Au désert, point de ces animaux malfaisans qui abondent dans les parties habitées de l’Afrique. Le lion du désert est un mythe. Le roi des animaux ne quitte jamais ses riches domaines, les épaisses forêts, les cascades jaillissantes où il trouve facilement sa proie, pour les solitudes nues, arides, sablonneuses du Sahara. L’aigle, le vautour, que les peintres et les poètes se plaisent à représenter planant au-dessus de l’homme ou de la bête de somme qui agonise sur le sable du Sahara, ne s’aventurent jamais dans ces régions, où l’eau est rare, où chaque passant couvre de pierres et de branchages la source qui l’a désaltéré. Les monstres toujours nouveaux que Pline a fait naître au désert n’ont jamais existé que dans son imagination. Cette vaste contrée, couverte de rochers, ne nourrit même pas de reptiles venimeux autres que le scorpion. Le serpent monstrueux qui jadis arrêta, dit-on, les progrès de l’armée de Régulus devait être unique de son espèce, car personne, depuis lors, n’en a jamais rencontré de pareil. En un mot, le Sahara est complètement privé d’existence et de mouvement ; on n’y trouve ni animaux ni végétaux. Quelquefois un oiseau vit dans le rayon des trois ou quatre palmiers qui croissent autour d’une fontaine, et s’y nourrit des miettes du, souper des caravanes. Les voyageurs, en, écrasant leur grain sur la pierre pour préparer leur repas du soir, en laissent toujours tomber quelques parcelles, et ils récompensent ainsi les chants joyeux par lesquels le solitaire accueille leur arrivée. L’œil fatigué de la complète immobilité du paysage, l’oreille engourdie par le silence absolu de la nature, sont charmés de rencontrer cet habitant des solitudes qui sautille gaiement et qui gazouille ; mais combien est rare cette heureuse diversion ! Le désert mérite son nom à ce point qu’une fourmi, un insecte ailé, y font événement. Il faut pourtant faire une exception : en faveur d’une espèce de lézard qui se présente fréquemment à la vue, salamandre qui vit sans doute du feu des rayons solaires.

D’après quelques descriptions plus poétiques qu’exactes, on pourrait encore, se représenter le Sahara comme une plaine immense, parsemée de monticules de sable que le vent pousse et roule, en sorte que les voyageurs trouvent souvent un fossé là où ils avaient vu précédemment une hauteur. On se tromperait étrangement. Le désert a des zones de sable, des zones de rochers, des zones de terre qu’on pourrait cultiver, si l’eau ne manquait pas. La zone sablonneuse est la plus désolée ; la zone de rochers offre parfois des aspects très