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douceur, elle se laissait tomber au fond de leur calice. La tourterelle caressait tendrement sa compagne… Le serpent aux écailles resplendissantes rampait, lentement hors de sa retraite pour frétiller au soleil, et le lièvre, le nez au vent, l’oreille droite, sortait de sa couche de feuilles, puis, d’un saut léger et velouté, se précipitait dans les fougères ; l’écureuil essayait ses gambades, etc. »

Ces vers sont jolis, trop jolis peut-être ; la nature y a une apparence charmante, trop semblable à la description du printemps éternel d’Ovide. Ne vous semble-t-il pas que vous êtes couché à l’ombre d’une forêt européenne ? Ce sont les mêmes arbres, les mêmes fleurs, les mêmes animaux ; seulement les arbres ont plus de feuilles, la verdure est plus épaisse, le soleil plus ardent, les eaux plus tièdes ; mais de peinture profondément originale, de descriptions larges et à grands traits, il n’y en a pas.

Le sentiment du beau, de l’idéal, est vaguement exprimé dans ces poésies, d’une manière abstraite, métaphysique, incolore ; on ne sent pas bien si toutes ces femmes aiment et comprennent les beaux-arts et surtout les arts plastiques ; le seul de tous les beaux-arts qu’elles sentent vivement, celui qu’elles semblent préférer, c’est la musique. C’est encore un fait curieux que cette prédilection des peuples modernes pour la musique. Cette préférence qu’ils lui donnent sur la peinture et la sculpture a une cause c’est que la musique s’accorde davantage avec leurs instincts ; la musique est véritablement l’art du XIXe siècle par excellence, c’est l’art qui exprime le mieux ses aspirations incroyables, c’est un art démocratique dans son essence. Comprise par tous les êtres vivans, même par les animaux, la musique ne demande, pour être sentie, ni science, ni longues études ; elle contente tout le monde, et raconte à chacun son rêve. Pour produire des sculpteurs, des poètes et des peintres, il faut à un pays de longs siècles, une histoire, une longue suite de traditions, des coutumes établies, que sais-je ? mais les peuples modernes, les Américains surtout, devancent le temps, agissent avec précipitation et n’ont pas le loisir d’attendre les traditions et l’histoire. De là cet amour extraordinaire de la musique, le moins coûteux d’ailleurs de tous les arts. Ils aiment la musique comme on aime les conversations du soir et le sommeil après une longue journée de travail. La musique est donc, si nous osons nous exprimer ainsi, l’art des peuples qui n’ont pas de temps à eux pour réfléchir et méditer, l’art des peuples ardens et fiévreux, car, pour être comprise, elle ne demande à l’homme que d’avoir une ame et des désirs. Nous trouvons dans ce recueil deux sonnets en l’honneur de Beethoven et de Mozart, où le génie de ces deux maîtres est parfaitement senti et apprécié ; ces sonnets sont de Marguerite Fuller, depuis comtesse d’Ossoli, morte l’année dernière à la suite d’un naufrage, en revenant en Amérique.