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et y exercent des professions industrielles, dont les Turcs, dans leur paresse ou leur orgueil militaire, leur abandonnent le monopole. Ils ont ainsi acquis une certaine habileté dans les arts, dans l’industrie, et la plupart des objets fabriqués en Turquie, dont nous admirons, souvent l’élégance et le bon goût, sont dus à des artisans arméniens. Quelques-uns, rehaussant leur condition au niveau de connaissances d’un ordre plus élevé, sont architectes, sculpteurs ou peintres. Les Turcs leur demandent de construire et d’orner leurs habitations, leurs sérails, même leurs mosquées, dont le voyageur admire la hardiesse des proportions ou l’originalité des lignes. Ces émigrés ou descendans d’émigrés s’adonnent aussi au trafic de l’argent, et tous les banquiers ou serafs de l’Orient sont Arméniens. À une aptitude financière qui ne le cède pas à celle des Juifs, avec qui ils ont encore ce point de ressemblance, il faut leur rendre la justice de dire qu’ils joignent une probité plus exemplaire. Les professions qui exigent des connaissances financières sont en Turquie du domaine presque exclusif des Arméniens ; mais on en voit un grand nombre exerçant de petits commerces au bazar. Il y en a aussi qui sont agriculteurs, et qui cherchent à appliquer à la culture des terres des moyens un peu moins primitifs que ceux pratiqués par les populations musulmanes, entre les mains desquelles le sol si riche de l’Asie s’appauvrit de plus en plus. Tous travaillent, l’oisiveté est inconnue parmi eux, et l’on peut dire que les Arméniens aident les Turcs à vivre.

Les villes de l’empire ottoman, où les Arméniens paraissent s’être établis le plus volontiers sont Constantinople, Angora, Kaïsarièh, Tokat, Sivas et Diarbekhr. Dans chacune d’elles, il y en a quelques milliers. Viennent ensuite des villes de second ordre où on les rencontre moins nombreux, mais liés au sol de la patrie ; car si ces villes obéissent à des pachas turcs, si elles se sont rangées sous la puissance de chefs kurdes indépendans, elles n’en sont pas moins de vieilles cités arméniennes.

Indépendamment des agglomérations d’Arméniens qui existent dans ces divers centres nationaux, beaucoup de villages ont aussi une population semblable. Il n’en est pas de ces Arméniens demeurés attachés à l’antique territoire de leurs pères comme de ceux qui l’ont fui pour échapper aux rigueurs de la conquête ou de la persécution religieuse. Ces derniers ont subi la loi d’existence commune à tous les émigrans qui, arrivant dans un pays ancien, viennent demander l’hospitalité à une vieille société : ils deviennent artisans, se livrent à un petit négoce, et donnent peu à peu, dans la mesure de leurs ressources, plus d’extension à leur industrie. C’est ainsi qu’ont fait les Arméniens fugitifs. Ceux qui au contraire sont restés et ont tout enduré pour vivre sous le ciel de la patrie, continuant les mœurs de leurs ancêtres, fidèles aux traditions nationales de leur pays, sont toujours pasteurs.