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Ainsi, après Tigrane allié de Cyrus, les princes arméniens deviennent les vassaux de ceux de la Perse. Alexandre dédaigne d’aller les combattre en personne ; il leur envoie un de ses lieutenans, et l’épée macédonienne triomphe facilement de la faiblesse de leurs armes. Profitant de la division qui survient entre les successeurs d’Alexandre, l’Arménie recouvre un instant l’indépendance, puis retombe sous la loi des rois de Syrie. Antiochus est défait par les Romains ; les Arméniens en profitent pour secouer son joug. La puissance des Grecs diminuait de plus en plus ; chaque peuple qui avait dû la reconnaître cherchait à s’en affranchir. Arsace levant le premier l’étendard de la révolte, les Parthes avaient recouvré la liberté. À leur exemple, les Arméniens tentèrent de s’affranchir ; mais une indépendance éphémère, en leur faisant perdre l’appui des Séleucides contre lesquels ils s’étaient armés, les précipite sous la puissance naissante des Arsacides. Mithridate s’empare de l’Arménie et y fonde une dynastie nouvelle dont l’avènement recommence une ère glorieuse pour ce pays. Il recule alors ses frontières, tient en respect tous ses voisins, et, l’empire d’Orient étant affaibli, il pousse, disent les historiens nationaux, jusqu’en Grèce ; mais c’est assez pour la gloire des Arméniens de croire qu’ils aient pu arriver jusqu’au rivage de la mer Égée. Plus tard, un autre Tigrane, digne de son nom, s’empare de la Perse occidentale, de la Syrie, et range sous son sceptre plusieurs provinces de l’Asie Mineure. L’Arménie était arrivée à l’apogée de sa gloire ; son roi portait le titre fastueux de roi des rois.

Cependant l’aigle romaine, qui avait si long-temps plané sur l’Asie, y revient d’un vol plus rapide. Marc-Antoine envoie le fils de Tigrane à Cléopâtre, qui lui fait trancher la tête. Ce coup fut le plus fatal porté à l’Arménie. Ravagée, déchirée entre les mains des Parthes et des Romains, elle sert de théâtre aux exploits et aux crimes des uns et des autres. La couronne de Tigrane, souillée, avilie, passe de main en main. Son pays est, pendant un long laps de temps, le terrain sur le quel les Romains et les Perses se disputent les limites toujours changeantes de leurs possessions. Tous les petits princes d’Arménie se partagent son sol, en se faisant de ses montagnes ou de ses fleuves des remparts derrière lesquels ils cherchent à abriter leur faible pouvoir. L’anarchie, ce dissolvant infaillible des empires les plus compactes, agit facilement sur cette nation divisée, qui vit s’échapper alors ses provinces méridionales, Édesse, Nisibe et toute la Mésopotamie. Désormais concentrée dans sa partie septentrionale, vers les monts Ararat et les bords de l’Araxe, il n’y eut plus pour elle que quelques rares et pâles éclairs de gloire. La position géographique de l’Arménie n’avait pas seulement exercé une influence fâcheuse sur ses destinées politiques elle avait encore contribué à lui façonner une religion mixte, dans laquelle le paganisme grec avait autant de part que le culte idolâtre des