Page:Revue des Deux Mondes - 1851 - tome 10.djvu/660

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

nous parurent moins que bienveillans. Nous n’en réitérâmes pas moins notre demande, insistant sur la nécessité d’avoir tout de suite une maison pour l’elchi, qui nous suivait de près ; mis au pied du mur et sans doute ému de notre aplomb, le mutselim se décida, tout en murmurant, à nous offrir une salle dans sa maison ; mais nous la refusâmes en alléguant la malpropreté de ce réduit, d’ailleurs trop étroit, et en demandant un logis plus convenable et plus vaste pour nous contenir tous avec nos gens et nos chevaux. On nous en montra plusieurs dans des conditions qui les rendaient inacceptables : il était évident qu’il y avait mauvais vouloir, intention de ne pas nous loger ou de nous loger fort mal ; nous en fîmes l’observation en termes sévères, et regagnâmes la route par laquelle nos compagnons devaient arriver. Nous fîmes part à l’ambassadeur de ce qui venait de se passer. De son côté, le caterdji-bachi, ou muletier en chef, ne se souciant pas de faire gravir à ses mules le chemin un peu raide, et d’ailleurs hors de la route, qui conduisait à Gumuch-Khânèh, avait persuadé à l’elchi de s’arrêter dans un hameau où se trouvaient, avec quelques masures en bois, trois petits cafés où il prétendait que nous serions aussi bien qu’en ville. On se rendit à ses raisons et l’on s’établit comme on put dans les maisons où le prudent caterdji avait déjà fait décharger ses bêtes.

Nous n’avions sans doute, en restant là, que peu de chose à regretter du comfort de la ville voisine ; mais la mauvaise volonté manifeste du mutselim ne pouvait être passée sous silence, l’ambassadeur devait à son caractère officiel et au pays qu’il représentait de lui témoigner son mécontentement : il lui envoya un attaché de l’ambassade avec un drogman. Après l’avoir malmené et lui avoir, en termes amers, reproché les airs qu’il se donnait de ne point avoir égard au firman impérial sous la protection duquel voyageait l’ambassadeur, ces messieurs firent craindre au mutselim les suites de sa conduite. Ils allèrent même, pour l’humilier, jusqu’à repousser la pipe et le café que le gouverneur leur fit offrir. Cet affront est l’un des plus graves que l’on puisse faire subir à un Turc, et celui-ci en parut très décontenancé, d’autant plus que cette scène se passait en public, et que les deux envoyés de l’ambassadeur n’avaient, comme nous avant eux, épargné au mutselim aucune des humiliations qui devaient lui être les plus sensibles. Cependant le gouverneur chercha à se défendre, mais avec son apathie habituelle et sans paraître même comprendre de quel manque de procédés il s’était rendu coupable envers l’ambassadeur. Nous apprîmes plus tard que le mutselim avait été destitué.

Peu de temps après nous être éloignés de Gumuch-Khânèh, nous passions d’un pachalik dans un autre. Nous avions traversé celui de Trébisonde et nous entrions dans celui d’Erzeroum, ou, pour rappeler ici des noms devenus classiques, nous quittions le royaume de Pont pour celui d’Arménie. Nous mettions le pied dans une des contrées