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long voyage que nous allions entreprendre, en dépit des rigueurs de la saison, furent bientôt terminés. Le 15 décembre, deux cents mulets ou chevaux, les uns portant des bagages, les autres des cavaliers, n’attendaient plus pour se mettre en mouvement que le signal du départ ce signal fut enfin donné, et nous quittâmes Trébisonde, après avoir appelé sur nous, par une collecte faite au profit des pauvres catholiques, la protection de la Providence.

À peine étions-nous sortis de la ville, que nos fatigues commencèrent : nous avions à gravir un sentier coupé de roches glissantes sur lesquelles s’abattaient à chaque instant nos chevaux, pauvres bêtes plus habituées à porter des fardeaux que des hommes. Pendant cette marche pénible, nous eûmes tout le temps de regarder la mer Noire, qui s’étendait à nos pieds, cette mer qui nous avait bien maltraités, et dont nous ne pouvions nous séparer sans regret. Les mâts noircis du Véloce se dessinaient au loin dans la bruine. C’était pour nous comme un petit coin de la France que nous apercevions une dernière fois, et auquel nous dîmes tristement adieu.

Au-delà de cet âpre sentier, nous débouchâmes dans un pays ouvert, planté de genêts et de bruyères. Sans la pluie fine et serrée qui tombait depuis que nous étions montés à cheval, cette première journée de marche aurait été assez agréable. Le paysage était pittoresque : devant nous, une route étroite serpentait à mi-côte d’une montagne couverte de grands arbres qui avaient conservé leur feuillage. À droite, au fond d’un ravin, coulait une petite rivière qui se heurtait à toutes les roches et mêlait son murmure au bruit des pas de nos chevaux. De grands rochers à pie, d’un aspect sévère, couronnés de sapins, bornaient notre horizon. La température n’était pas trop rude encore, mais elle devait s’abaisser à mesure que nous nous rapprocherions des montagnes neigeuses vers lesquelles se dirigeait notre caravane.

Nous fîmes halte, à la tombée de la nuit, dans un hameau où des écuries nous servirent de logement. Le mauvais temps continuait, et le froid, qui avait beaucoup augmenté, nous rendait notre triste gîte insupportable ; aussi le quittâmes-nous sans trop de regret dès le point du jour. Le chemin traversait un bois de mélèzes et de sapins, coupé par de nombreux torrens dont la gelée n’avait pas encore immobilisé les cascades. À la fin de cette seconde journée, nous sortîmes du bois, et nous atteignîmes la région des neiges, que, pendant trois mois, nous ne devions plus quitter. La nature changea aussitôt d’aspect : nous vîmes se dérouler devant nous des plaines immenses, couvertes d’une neige épaisse, et sur lesquelles planait un morne silence. Le froid était devenu subitement excessif : le thermomètre marquait déjà 15 degrés au-dessous de zéro. Nous étions sur le Zingâna, l’un des monts les plus élevés de la chaîne que nous avions à franchir. Le vent