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les faits et les hommes du jour, ces portraits qu’il avait reconnus tout d’abord, que tout cela était l’ouvrage d’un poète grec mort il y a deux mille ans. C’est qu’il y a dans le génie créateur une inspiration puissante qu’on chercherait en vain chez les hommes de talent qui le suivent ; tout est de premier jet ; la sève n’a rien de fade et d’épuisé : il en est de la poésie comme de ces eaux que la nature a fait jaillir des montagnes pour la santé de l’homme ; leur vertu est à la source.

Aristophane écrivait au temps de Périclès ; mais si on a quelquefois rapproché les deux siècles de Périclès et de Louis XIV, pour les confondre dans une gloire commune, il ne faut pas nous laisser tromper par ce rapprochement : à ces deux époques, l’esprit humain reçut également une vive et féconde impulsion ; toutes les deux ont laissé derrière elles ces traces lumineuses qui éclairent long-temps l’horizon. Les deux sociétés différaient d’ailleurs sur toutes choses ; ce sont deux mondes : l’un irréligieux jusqu’à l’impiété, l’autre dévot jusqu’à la persécution ; l’un réglé et majestueux, l’autre licencieux et turbulent ; celui-ci monarchique jusqu’à l’adoration, celui-là démocrate jusqu’à l’anarchie. Rien ne ressemble moins en vérité à Périclès que Louis XIV, si ce n’est Mme de Maintenon à Aspasie. Là où règne d’ailleurs la démocratie, tous les autres traits disparaissent bientôt, pour ne laisser place qu’aux sentimens et aux vices que cet état social fait naître dans le cœur humain. Ce n’est donc point au siècle de Louis XIV, mais au nôtre, qu’il faut songer quand nous parlons d’Aristophane. La démocratie athénienne et la démocratie française, à vingt-quatre siècles d’intervalle, se ressemblent, au moins par leurs mauvais côtés. Comment s’en étonner ? Nous naissons tous avec le péché originel, c’est-à-dire avec une aptitude singulière au mal ; seulement les institutions, les conditions générales des temps où nous vivons, développent cette disposition et ouvrent à cet instinct du mal des voies diverses. Sans restreindre, à Dieu ne plaise, la part que les hommes ont dans leur propre destinée, il faut bien reconnaître à travers les siècles une génération mystérieuse qui fait découler les mêmes effets des mêmes causes. Il y a des époques pour la cruauté, il y en a pour l’orgueil ; celles-ci pour la superstition et celles-là pour l’incrédulité : comme on a distingué les siècles par les grands hommes ou les événemens mémorables qu’ils ont vus, on pourrait les caractériser aussi par quelqu’un des péchés capitaux. À l’avènement et au retour de la démocratie, nous retrouverons le même vice, l’envie : l’envie est le péché des siècles démocratiques ; je ne veux certainement pas dire le seul.

Cette ressemblance entre le siècle où vivait Aristophane et le nôtre frappa tous les esprits dès les temps de la première république. Voici ce qu’en pensait en l’an II de la république, dans une disposition qui ne portait guère aux paradoxes littéraires, quelques jours avant de