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garde dispersée, les portes enfoncées, les grilles de fer brisées sous les.efforts des assaillans ; mais le triomphe véritable pour lui, ç’a été de faire lever une défense du roi de jouer sa pièce, donnée par écrit il n’y a pas un an, et signifiée avec une solennité qui semblait en faire une affaire d’état… Monsieur a paru s’ennuyer beaucoup de cette folle journée ; quant au comte d’Artois, on sait qu’il s’était opposé à la représentation en disant au roi que c’était une vilenie, une infamie. »

N’est-ce pas vraiment le sommaire de la révolution que ce récit ? La volonté du roi contrainte à céder, l’insurrection qui enfonce les portes du théâtre comme elle fera bientôt de celles de la Bastille, la confusion des rangs, je ne sais quel dédain contagieux de toutes les maximes de l’ordre social préparant les esprits à l’assaut du vieux monde, et devançant les entraînemens de la nuit du 4 août ; enfin ce prince, qui sera un jour Charles X, essayant déjà contre cette nouvelle et capricieuse puissance du temps, l’opinion, la lutte qu’il renouvellera quarante ans plus tard, et qui lui coûtera la couronne !


II

Le Mariage de Figaro n’avait pas préparé la révolution, ai-je dit, il l’avait annoncée. Elle suivit de près, renversant ou transformant tout, les trônes et les théâtres, renouvelant, comme ces grandes eaux dont parle l’Écriture, la face même de la terre. Les improvisateurs politiques de l’assemblée constituante n’avaient garde d’oublier le théâtre dans ce monde nouveau que fabriquaient leurs décrets. La constitution de 1791 plaça la liberté des théâtres au rang des droits de l’homme et du citoyen. La politique s’empara aussitôt de la scène. D’abord le théâtre appartint tout entier aux idées victorieuses : il se fit l’auxiliaire et l’écho emphatique de la tribune ; mais la résistance y trouva bientôt aussi des organes. Il y eut des théâtres réactionnaires, comme il y avait des théâtres démagogues. La Comédie-Française surtout se fit remarquer par ses témérités contre-révolutionnaires ; c’est là que se réfugiait tout ce qui restait à Paris d’anciens partisans de la royauté, ou même d’anciens constituans dont la foi aux doctrines de la révolution n’avait pu résister au spectacle de tant de ruines et de sang. Des femmes, des jeunes gens enthousiastes s’y donnaient rendez-vous. Parmi les œuvres qu’on y applaudissait chaque soir, il est impossible de passer sous silence une pièce qui souleva des orages au sein de la convention au moment même où se jugeait le procès de Louis XVI, provoqua une formidable émeute dans Paris, et dont la représentation ne put être achevée que sous la protection de six pièces de canon. Les témoins de cette époque sans nom qui précéda en France la terreur se souviennent encore de la comédie de l’Ami des Lois.

Ce titre seul était une protestation contre le sanglant despotisme des