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Enfant au premier acte, est barbon au dernier ?


Nous avons vainement attendu cependant les chefs-d’œuvre de la liberté. — C’est que la liberté n’était pas complète, a-t-on répondu : à défaut d’Aristote, dont on s’était débarrassé, la censure, ce monstre aux cent yeux, arrêtait tout, empêchait tout. Les révolutions aidant, deux fois de nos jours on a aboli la censure : le théâtre a été livré à lui-même. — Nous dirons tout à l’heure ce que cette émancipation a produit dans les régions de la politique ; mais, disons-le tout de suite, l’art dramatique surtout en a été mortellement atteint. Il s’est trouvé qu’en enlevant toutes les barrières, en supprimant toutes les contraintes, on avait du même coup brisé l’effort qui fait le génie. C’est ainsi qu’en rompant les digues, ou brisant les aqueducs d’où jaillissaient les eaux captives dans les grands parcs de nos rois, nous avons changé ces beaux lieux en de tristes marécages.

Ce n’est qu’au XVIIIe siècle que la censure fut organisée suivant des règles fixes et générales. L’esprit d’opposition et de liberté qui se faisait jour de tous côtés éveillait le pouvoir sur la nécessité de la défense. Dans les gouvernemens libres, on a multiplié les lois contre la presse, multiplié les amendes et la prison contre les écrivains : cela témoigne seulement de la puissance de la presse. En Turquie, il n’y a pas de loi sur la presse : imagine-t-on qu’elle y ait plus de force qu’en France ? La censure théâtrale, confiée à des gens de lettres, à des philosophes comme d’Alembert, ne paraît pas avoir excité alors les réclamations qui la poursuivent aujourd’hui. Toutes les pièces de Voltaire sont là pour constater quelle part était faite aux nouveaux instincts de la société. On pourrait bien plutôt reprocher à la censure de cette époque de n’avoir pas compris la portée de certaines attaques, et d’avoir laissé détruire les remparts qu’elle devait garder ; mais, quand une société tout entière veut périr et conspire elle-même sa perte, il ne faut point s’attacher aux petites causes. Ce n’est pas parce qu’on laissa représenter le Mariage de Figaro que la révolution de 1789 éclata ; mais le Mariage de Figaro montrait où en était arrivée la société, ce qu’elle tolérait, ce qu’on pouvait oser contre elle, contre tous les élémens qui la constituaient alors.

Le théâtre passait donc peu à peu et tout entier aux idées nouvelles. Nous l’avons dit, la générosité n’est pas dans ses allures ordinaires : c’est aux forts qu’il porte volontiers secours et appui. De sujet et de flatteur de Louis XIV, il était devenu le serviteur et l’allié puissant de la philosophie, ce nouveau despote du nouveau siècle. Les philosophes et l’Encyclopédie, ce grand cheval de Troie qui portait dans ses flancs la ruine de ce monde vieux et frivole, étaient alors, sous le ministère de M. de Choiseul, dans leur plus grande gloire. Tous ployaient le genou devant l’idole du jour : depuis Mme de Pompadour jusqu’au