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le monde ; mais, pour apprécier la valeur morale et par conséquent la durée probable d’une telle résistance, il faut se placer sérieusement dans l’esprit des institutions républicaines telles que les républicains eux-mêmes les ont faites et proclamées.

Sous la république dont 1848 a posé les fondemens, il n’y a qu’un seul principe de gouvernement : c’est la souveraineté absolue, illimitée, imprescriptible de la majorité numérique des électeurs. La majorité est le seul pouvoir qui survive au sein d’une démocratie rigoureusement nivelée à l’abaissement de toutes les autorités humaines. La république est le premier gouvernement qui ait hardiment repoussé tout autre droit que celui de majorité pure et simple. L’ancienne société française avait vécu sur la croyance qu’une longue suite d’aïeux, la possession continue du pouvoir, l’éclat des services rendus, tous les signes reconnus d’une protection divine, pouvaient donner à l’aîné d’une famille mise depuis Long-temps hors de pair le droit de commander à une nation dans les règles de la justice éternelle et de l’intérêt social. La république a banni des lois le nom de l’hérédité et ses représentans du territoire. Nous avons connu, nous, un gouvernement qui, sans prétendre à cette délégation divine, croyait tenir du libre consentement de la nation, de la foi réciproque des sermens, un droit une fois acquis que le parjure seul pouvait faire perdre. Ce gouvernement est tombé, au sein de la fidélité la plus entière, dans la pleine observation de la parole, sans qu’on pût lui reprocher d’avoir effacé un trait de lettre du serment qu’il avait prêté. La république née de ses ruines a applaudi à sa chute ; elle a proclamé qu’une nation ne pouvait prendre d’engagement envers aucun homme et n’était pas esclave de sa foi. Sous tous les gouvernemens précédens, une certaine distinction fondée sur l’éducation, sur l’expérience, sur les services rendus, existait entre les hommes ; on proportionnait le droit politique à la capacité présumée ; les vieux serviteurs de l’état, ceux qui avaient répandu leur sang sur les champs de bataille, ou blanchi dans l’étude des lois, partageaient à titres égaux, avec l’élément populaire, l’autorité législative. La république a effacé ces distinctions anciennes comme la nature et les sociétés humaines ; elle a fait des hommes autant d’unités mathématiques, figurant tous avec la même valeur dans les opérations politiques. Hérédité, légalité constitutionnelle, équilibre des pouvoirs, elle a tout sacrifié au culte, à l’idolâtrie de la majorité pure et simple. Dans les principes républicains, la moitié plus un des électeurs dispose d’un pouvoir sans limite sur la moitié moins un. C’est la dernière règle, le dernier boulevard d’ordre qui subsiste ; c’est la seule autorité reconnue ; elle est sans rivale et sans contrôle.

Il serait permis par conséquent de se demander (et de toutes parts