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gouvernait. Depuis qu’il est sorti des affaires, les partis ont repris un train bien autrement vif, soit à la chambre, soit dans le pays ; le ministre Murillo n’a pas su leur imposer assez, parce qu’il a trop montré qu’il tenait beaucoup à se différencier du cabinet qu’il remplaçait. Il a rompu de la sorte une tradition d’autorité qui était sa meilleure force ; et il s’est vu battre, comme nous l’avons dit, sur le terrain parlementaire dans une question où le seul sentiment de l’honneur espagnol aurait dû le protéger.

On se rappelle que la reine Isabelle, en ouvrant les cortès au mois d’octobre de l’année dernière, avait promis, dans un paragraphe spécial de son discours, un prochain règlement de la dette étrangère. Nous avons, il y a quelque temps, expliqué nous-mêmes ici la façon au moins expéditive dont M. Bravo Murillo se proposait de liquider au meilleur marché possible la situation de son pays ; nous répétons l’explication. Supprimer sans autre cérémonie la moitié des intérêts arriérés, réunir l’autre moitié au capital primitif et ne payer d’intérêts nouveaux sur ce capital ainsi consolidé que dans des proportions si lentes à croître, qu’il eût fallu dix-neuf années pour atteindre seulement le taux de 3 pour 100, — tel était le plan commode que M. Murillo n’a pu cependant faire passer aux cortès. Faute d’influence et de consistance le ministère espagnol a succombé devant le plan beaucoup plus commode encore de M Millan Alonso, qui ne voulait rien payer du tout aux créanciers de l’Espagne, et démontrait avec effusion tout le parti que l’Espagne avait à tirer de son argent plutôt que de solder ses dettes. M. Murillo en appelle maintenant à des élections générales, et, sous la première impression de surprise et de chagrin que lui avait causée cette défection de la majorité, il ne s’était point, à ce qu’on assure, montré trop hostile aux candidatures des progressistes. MM. Olozaga, Cortina, Mendizabal, San-Miguel, se mettaient sur les rangs sans être beaucoup contrariés par l’administration. On comptait qu’il y aurait jusqu’à soixante progressistes dans la prochaine assemblée. Les événemens de Portugal auraient, dit-on, à leur tour, arrêté le cabinet espagnol sur la pente où il se laissait couler et mis un terme à dès capitulations dangereuses.

Les événemens de Portugal sont ainsi de toute manière en contact avec les affaires d’Espagne ; ils ont cependant aussi leurs causes plus intrinsèques. Pour gouvernée les royaumes péninsulaires, il a surtout été besoin jusqu’ici de financiers et d’hommes de guerre. Les deux premières conditions d’existence dans ces états ébranlés par de continuelles secousses, c’étaient plus encore qu’ailleurs une armée qui tint le pays en paix, un trésor qui défrayât l’armée ; l’un ne pouvait aller sans l’autre : point de soldats sans argent, point d’argent sans soldats. L’Espagne a su résoudre le problème, grace à deux hommes qui se sont partagé la tâche, et l’ont tirée de l’abîme où l’avaient jetée depuis tant d’années l’indiscipline militaire et le gaspillage des deniers publics. M. Mon a réorganisé les finances en même temps que le général Narvaez réorganisait l’armée, et ils ont donné assez d’ascendant au régime qu’ils instituaient pour qu’il pût même fonctionner sans eux. Le Portugal n’a pas eu jusqu’ici cette bonne fortune qui est échue à ses voisins. On a quelque raison d’espérer que son gouvernement sera désormais plus affermi, maintenant que cette infructueuse tentative du maréchal Saldanha n’a fait que prouver en sa faveur. Cet affermissement est bien nécessaire pour permettre au pays de sortir des vieilles