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Aujourd’hui mon manoir s’élève près des côtes,
L’âcre sel de la mer nous pénètre souvent,
Et le pleur des courlis arrive avec le vent.
Notre riant manoir plaisait à mon jeune âge,
Et celui-ci me plaît dans son cadre sauvage,
Car, loin de vous, mon cœur, nourri de sels amers,
Aime à se lamenter avec l’oiseau des mers.
Heureux pourtant, heureux si, dans ces jours d’attente,
Plus nouveau, nul parfum du pays ne vous tente,
Et des clercs, des seigneurs si vous fuyez la voix,
Vous souvenant toujours des chansons d’autrefois ! »

Ainsi le journalier parlait dans cette lettre,
Que certain mendiant s’engageait à remettre,
Avec mille détails sur les lieux, la maison,
Et le retour probable à la belle saison,
Enfin la vérité sur le point qui les touche,
Ce que l’encre dit mal, et que dit bien la bouche.

Dans la serre vitrée, il traça ce billet.
Déjà pour le fermer une cire brûlait,
Lorsque la jeune dame, avec un bon sourire,
Dit en entrant : « Montrez si vous savez écrire ! »
Elle était belle à voir parmi ses dahlias
Et les fûts élancés des fiers magnolias,
Tandis que la campagne était blanche de neige,
Parcourant cet écrit, blanche aussi sur son siége :
Ce n’étaient alentour que myrtes, orangers,
Et bouquets odorans d’arbustes étrangers ;
Des poêles s’exhalait l’haleine humide et chaude ;
Quelques mouches à miel, s’insinuant par fraude,
Dans les fleurs bourdonnaient, et, sur les clairs vitraux,
Heureuse la chenille étendait ses anneaux…
Elle lut, et bientôt, de malice égayée,
Voici ce qu’ajoutait sa plume déliée :

— « Je vous, aime Nola comme on aime une sœur.
Je sais votre beauté, je sais votre douceur.
La dame veut écrire à la riche fermière
Qu’un jaloux va, de loin, troubler dans sa chaumière,
Sans dire, le rusé, car ils sont tous ainsi,
Que des regards bien vifs le provoquent ici.
Mais, femme, je serai l’appui d’une autre femme.
Oui, fermière, mettez votre espoir dans la dame…