Page:Revue des Deux Mondes - 1851 - tome 10.djvu/515

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la porte des grands hôtels du faubourg Saint-Germain et du faubourg Saint-Honoré pour contempler à son aise les beaux attelages de Mecklembourgeois à haute encolure. Ravi en extase par leur belle robe et leurs muscles puissans, il les suivait à la course aussi long-temps qu’il le pouvait, et, quand l’haleine lui manquait, il se consolait en commençant une nouvelle faction. Ces détails, qui nous ont été conservés par ses amis, nous expliquent pourquoi, avant d’entrer dans l’atelier de Guérin, il suivit quelque temps les leçons de Carle. Vernet. Les études spéciales de Carle Vernet avaient excité chez Géricault un vif désir de prendre ses conseils ; mais, au bout de quelques mois ; il sentit que Carle Vernet n’était pas son homme. En effet, ce peintre, qui ne manquait certainement pas d’habileté, s’attachait trop obstinément à reproduire certains types de chevaux, tels que le type arabe et le type anglais ; encore avait-il pour ce dernier type une préférence marquée. Il apportait d’ailleurs dans la représentation du cheval certains procédés que la mode avait acceptés, mais qui jetaient dans ses œuvres une singulière monotonie. Géricault ne pouvait s’accommoder d’un maître si étroit dans ses goûts et dans sa méthode. Sa passion pour les chevaux embrassait tous les types, depuis le type normand jusqu’au type arabe. Aussi n’eut-il pas de peine à découvrir tout ce qu’il y avait de mesquin dans le talent de Carle Vernet, bien qu’il rendît pleine justice à l’adresse de son pinceau. Pour lui, l’habileté de ce premier maître était une habileté purement industrielle. La peinture proprement dite n’avait pas grand’chose a démêler avec les tableaux de Carle Vernet. Les gens du monde l’avaient accepté comme un artiste consommé, et sans prendre au sérieux sa renommée, il en recueillait les bénéfices. Géricault, sincèrement épris de la beauté du cheval, mais qui la comprenait dans toute sa variété, ne pouvait demeurer long-temps dans l’atelier de Carle Vernet. Malgré sa prédilection pour les haras, pour les courses du Champ-de-Mars, il entra dans l’atelier de Guérin.

On se figure sans peine tout ce qu’il eut à souffrir sous la discipline de ce nouveau maître ; son ardent amour pour la réalité ne trouvait pas à se satisfaire chez l’élève de Brevet et de Regnault. Chaque fois qu’il lui arrivait de déserter les principes consacrés dans l’atelier et de faire l’école buissonnière, il était vertement tancé, et, sincère ou non, soit qu’il exprimât sa conviction, soit qu’il voulût venir en aide aux répugnances de la famille de son élève, Guérin conseillait à Géricault de renoncer à la peinture. Il y avait certainement dans ces remontrances de quoi décourager un esprit vulgaire et moins fortement trempé ; heureusement Géricault sans se demander si son maître parlait selon sa pensée ou selon la pensée de sa famille, avait assez de bon sens pour partager sa vie entre l’obéissance et la liberté : tant qu’il