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La pacification de l’île, c’est-à-dire l’occupation totale ou partielle du territoire dominicain, condition indispensable d’une paix définitive, servirait donc l’intérêt de nos indemnitaires bien loin de leur nuire, et enlèverait des prétextes à la mauvaise foi du gouvernement débiteur, bien loin de lui en créer.

Que faut-il donc chercher le secret d’hésitations que rien au dedans comme au dehors ne légitime ? Serait-ce dans un reste de préjugés anti-coloniaux ? Nous sommes payé pour en revenir : c’est avec ces préjugés-là qu’on bourre la machine révolutionnaire. — Est-ce dans l’étrange illusion de l’un de nos derniers ministres des affaires étrangères, répondant à quelqu’un qui lui représentait le danger de l’occupation de Samana par les États-Unis : « Heureusement que les Anglais sont toujours à la Jamaïque ! » Les Anglais étaient aussi dans l’Oregon ! Non le mot de cet étrange parti-pris ne saurait être encore là. Ce mot, c’est, je le crains bien, la maxime traditionnelle des bureaux, la terrible maxime inventée par M. Pesages : « Pas d’affaires ! » - Pas d’affaires ! Heureux en effet le pays qui pourrait s’en passer ; mais en sommes-nous bien là ? Quand l’Angleterre agrandit chaque jour la distance que 1848 a mise entre elle et nous, quand l’Allemagne, derrière les tréteaux où se joue la comédie de son unité politique, constitue silencieusement son unité commerciale, quand l’Espagne restaure a huis-clos sa marine, quand les États-Unis couvrent l’Atlantique et le Pacifique de corsaires annexionistes, quand tous les peuples s’agitent autour de nous et loin de nous, que tous font leurs affaires, que chacun cherche à élargir ses coudées, fût-ce aux dépens du voisin ne risquons-nous pas, en restant seuls à dormir dans notre coin, de nous réveiller un beau jour étouffés ou aplatis ? Notre léthargie est ici d’autant moins excusable, qu’elle n’a pas des obstacles politiques ou financiers pour excuse, que pour voir flotter notre pavillon sur la presqu’île de Samana, nous n’aurions pas même la peine de l’y porter, que pour conquérir la plus belle position maritime et territoriale du Nouveau-Monde, la tête de pont du passage de Panama, l’entrepôt futur des deux hémisphères, la clé des deux océans, il nous suffirait encore une fois d’un monosyllabe et d’un signe de tête. Pourquoi dire cela tout haut ? m’objectera-t-on. – Eh ! mon Dieu, pour qu’on le sache, parce que tout le monde le sait excepté nous, parce qu’une cause aussi légitime et aussi belle doit être soutenue à visage découvert, parce que d’autres, à notre place, se disputent publiquement l’honneur et le profit de relever cette patiente sentinelle qui, au qui vive de la barbarie, répond depuis huit ans : « France ! »


GUSTAVE D'ALAUX.