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le serment intérieur qu’ils ont fait de ne s’adresser qu’à la France, il faut que ce soit la France elle-même qui propose la médiation collective des trois puissances ; mais au sein de la sécurité relative qu’ils doivent à cette médiation, dans la liberté absolue d’option que notre volontaire effacement leur laisse, c’est encore vers nous qu’ils tournent les yeux. Une seule pensée les préoccupe : c’est qu’il y ait méprise dans notre refus, c’est que la France ne les juge pas digne de son adoption. Santana écrit à Paris (20 novembre 1850) à un ami qui se trouve en mesure d’éclairer l’opinion « … Nous sommes un peuple si petit et si ignoré, que c’est un devoir pour nos amis de révéler notre existence. Dites bien que, malgré le funeste voisinage de nos ennemis il y a une immense distinction à faire entre nous et eux, et combien profondément nous différons de cette espèce de gens (con semejante pueblo) par nos mœurs, nos usages, nos habitudes, notre religion, notre caractère ; dites que nous n’avons rien, absolument rien de commun que le hasard qui nous fait vivre dans la même île. »

Est-ce assez de témoignages ? Douterons-nous de préférences qui ont résisté à la multiple épreuve du temps, du désespoir, des déceptions, de la sécurité Et ces préférences ne sont pas seulement l’expression d’instinctives sympathies ; elles reposent sur des convictions raisonnées ; sur des faits essentiels. Des trois puissances parmi lesquelles la jeune république est obligée de se choisir un protecteur, la France, en dehors même des garanties morales et matérielles qu’elle offre par son droit spécial sur l’ouest, droit qui ne saurait expirer qu’avec la dernière échéance de l’indemnité, en dehors même des souvenirs qu’a laissés sa courte domination à Santo-Domingo, en dehors même du contraste de son désintéressement avec l’ardente convoitise de l’Angleterre et, des États-Unis, accourus, non pas à l’aide, mais à l’hallali de cette petite nation aux abois, la France, disons-nous, est la seule dont le patronage soit tolérable et enviable pour les Dominicains.

L’Angleterre et les États-Unis, c’est sans doute la force, la sécurité, la richesse, le progrès matériel ; mais le protectorat anglais, c’est le protestantisme ; mais le protectorat américain, c’est, avec l’invasion du protestantisme, la tyrannie de cet inexorable préjugé de couleur qui ne pardonne ni à l’ame ni au corps, ni au chrétien ni au citoyen, ni au talent ni à la fortune, ni à la tombe ni au berceau. On comprend l’invincible répugnance qu’une pareille alternative inspire à un pays que ses griefs religieux ont peut-être plus contribué à soulever que ses griefs nationaux, et où la majorité de la population, quoique d’apparence blanche, appartient aux races sang-mêlés. On comprend l’énergique persistance de ce pays à chercher son point d’appui dans la France, dont le rapproche, avec la communauté d’intérêts, de souvenirs, de législation et presque de langage, la communauté de religion,