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VII. – L’INTRIGUE ANGLAISE. – LA PROPAGANDE AMERICAINE. – RÔLE DE LA FRANCE.

Qu’est-ce, qui nous fait donc hésiter ? Est-ce un scrupule de générosité et de prévoyance ? est-ce la crainte de paraître exploiter les pressantes nécessités ou la république dominicaine se débat, et de devoir à ces nécessités seules l’abdication d’une nationalité qui regretterait peut-être plus tard son sacrifice ? Il doit exister aux archives des affaires étrangères un certain acte du 22 septembre 1843 qui lèverait à cet égard tous les doutes et répondrait à toutes les accusations. Plus de cinq mois avant la séparation de l’est, lorsque les Dominicains avaient encore toute leur liberté d’action et d’option, leurs propositions étaient déjà on ne peut plus explicités. L’annexion, et à défaut de l’annexion, l’occupation partielle ou le protectorat furent leur premier mot. Notre gouvernement jugeait tout le premier que la spontanéité de ces offres suffisait à mettre sa responsabilité morale à couvert, car il consentit à les recevoir. Il y aurait même répondu affirmativement, si la nouvelle de la révolution prématurée de Santo-Domingo, qui mous engageait sans notre consentement, n’avait refoulé son bon vouloir[1], et si la bruyante affaire de Haïti n’était venue donner un nouveau cours à ses préoccupations. Est-ce à défaut d’autre ressource que les Dominicains ne se sont pas laissé rebuter par un premier refus ? Est-ce le rôle de pis-aller que nous redoutons ? Voici qui doit nous tranquilliser encore. L’Angleterre pendant six ans, les États-Unis jusqu’à ce jour ont mis autant d’acharnement à solliciter les propositions de la petite république que nous à les éluder.

Dès 1844 le gouvernement anglais envoyait à Santo-Domingo un agent sans caractère public, nommé Henneken, et qui, pour mieux jouer son rôle, se fit naturaliser dans le pays. Ce M. Henneken, devenu successivement colonel dans l’armée dominicaine et représentant du peuple, se livra dès le début contre nous à la propagande la plus actuel toujours par voies et par chemins pour soulever les susceptibilités des populations contre ce qu’il appelait notre complicité avec les noirs, toujours à l’affût des besoins, des inquiétudes, des accès de découragement où tombait le gouvernement dominicain pour faire intervenir au moment voulu le Foreign-Office, la marine anglaise, les capitaux anglais. Eh bien ! au bout de quatre ans, le parti anglais de l’est se réduisait au seul M. Henneken ; l’Angleterre n’avait pas reçu une seule proposition ; les divers capitalistes qui avaient essayé d’enlacer ce pays sans ressource dans l’habile réseau des intérêts britanniques avaient été

  1. Le roi Louis-Philippe reçut la nouvelle de l’insurrection dominicaine au moment même où il discutait les bases de notre intervention : « Puisqu’il font leur affaire tout seuls, dit-il impatienté, eh bien ! qu’ils se débrouillent… C’est qu’ils n’ont pas besoin de nous. »