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leurs fusils et se ruèrent à coups de sabre et à coups de lance sur les masses ennemies, dont le feu cessa bientôt, car les boulets et les balles auraient dû aller chercher chaque Dominicain dans un cercle épais d’haïtiens. Ce fût un vrai combat de démons que surexcitaient, du côté des Dominicains, la rage de l’impossible, et, du côté des Haïtiens, la rage de la soif. Soulouque finit par crier lui-même : « Sauve qui peut ! » et l’armée noire se débanda, abandonnant six canons, plus de mille fusils, trois cents chevaux, quantité de munitions et de vivres, mais pas un blessé, car elle n’avait que des morts. Les Dominicains n’avaient pas fait de prisonniers, hormis un seul qui fut trouvé après l’action. Refoulés par les cavaliers de Santana dans un sentier étroit qui longeait la plage, les Haïtiens eurent encore à supporter dans leur fuite les bordées de la flottille dominicaine. Ils s’en vengèrent, comme nous l’avons vu, en incendiant dans leur fuite Azua, San-Juan et Las Matas. Soulouque s’arrogea l’honneur de mettre de sa propre main le feu à Azua, où il avait fait préalablement fusiller et mutiler les quelques soldats dominicains tombés en son pouvoir au début de la campagne. La destruction des arbres fruitiers, l’incendie des habitations des chantiers d’acajou et des plantations, le massacre de quelques familles isolées, marquèrent, sur une étendue de trente à quarante lieues, la retraite précipitée de Soulouque, qui fit porter sa rage jusque sur les animaux. Les soldats noirs crevaient les yeux à ceux qu’ils ne tuaient pas.

Jimenez ne crut pas pouvoir décemment s’empêcher de remercier Santana au-nom de la patrie. Il l’invita par la même occasion, toujours au nom de la patrie, à abandonner le commandement, à se retirer dans le Seybo, et surtout à ne pas passer par Santo-Dominbo ; mais Santana, à qui l’incapacité ou la trahison de Jimenez venaient d’imposer pour la seconde fois en cinq ans le rôle de sauveur, ne l’entendait pas tout-à-fait ainsi, et la patrie encore moins. Toutes les municipalités de la république, toutes hormis celle de Santo-Domingo, qui n’avait pas sa liberté d’action, invitèrent spontanément Santana à compléter son œuvre en expulsant du pouvoir l’homme qui en avait fait un si triste usage. L’armée, qui s’était déjà entièrement ralliée, joignit ses instances à celles des municipalités, et Santana se porta sur Santo-Domingo avec six ou sept mille hommes.

Jimenez, puisant tout à coup dans cette rage d’envie qui l’animait contre Santana et dans le regret d’un pouvoir dont il se croyait redevenu le possesseur paisible une sorte d’énergie fiévreuse, mit hors la loi le général et voulut faire arrêter les membres du congrès, qui se réfugièrent dans le consulat de France. Jimenez, se prévalant de la fausse position que faisait M. Place l’exequatur de Port-au-Prince, prétendait qu’on les lui livrât, et, sur l’énergique refus de notre agent, ne parla de rien moins que de le faire arrêter lui-même, ainsi que le