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les opprimés, surprendre sa générosité, l’engager, par point d’honneur et malgré elle, dans une entreprise pour laquelle rien n’était ni préparé ni prévu. La perplexité de M. Place dut singulièrement s’accroître, lorsqu’en désespoir de cause, les commissaires du congrès lui posèrent cette question : « Si vous ne consentez pas, trouvez-vous bon que nous nous adressions au consul anglais, puisqu’il s’agit pour nous de nos propriétés, de notre existence, de celle de nos femmes et de nos enfans ? Si la France refuse de nous adopter et que nous ne parvenions, pas à nous défendre nous-mêmes, ne sommes-nous pas autorisés à nous jeter, malgré notre répugnance pour l’Angleterre, entre les bras de qui se décidera à nous protéger ? » Et en effet l’Angleterre, comme nous le verrons plus loin, était depuis long-temps prête, pour cette alternative. La probité est, après tout, la meilleure des diplomaties. L’estime qu’avait su mériter M. Place les services qu’il avait pu rendre aux Dominicains, services désintéressés s’il en fut, puisque, bien loin de mendier une influence dans ce pays, à la suite des États-Unis et de l’Angleterre, nous éludions depuis cinq ans ses préférences, la loyauté même d’un refus qui coûtait visiblement beaucoup à notre consul, enfin les sympathies françaises de la population pesèrent plus dans la balance que les offres de l’Angleterre et les conseils pressans de la terreur. On se sépara après être convenu de part et d’autre qu’on attendrait la décision du gouvernement français, que cette entrevue ne serait pas considérée d’ailleurs comme officielle, que le résultat négatif en serait tenu secret pour ne pas jeter l’alarme dans la ville, et que le congrès appellerait Santana à la tête de l’armée. Ce décret fut immédiatement rendu et porté dans le Seybo par un des Alfau, qui avait eu la précaution d’attendre à cheval en dehors de la ville, crainte d’embûches ou d’empêchemens de la part de Jimenez.

Santana arriva à Santo-Domingo, où des obstacles que l’archevêque et M. Place eurent toutes les peines du monde à faire lever l’arrêtèrent trois jours. Il partit à peu près sans espérances, et dit à ses amis en les quittant : « Je vais essayer d’arrêter les Haïtiens jusqu’à ce que la France arrive à notre secours ; en tout cas, si je suis vaincu, vous ne me verrez plus. » Ce général, qui posait sa défaite comme une hypothèse, et qui allait essayer d’arrêter une armée de quinze mille hommes qu’on supposait même à Santo-Domingo s’élever à près du double, ce général emmenait avec lui environ soixante hommes.

Dans l’intervalle, le consul anglais n’avait pas perdu son temps ; il avait fait venir en toute hâte un bâtiment de sa nation, et, persuadé que les dominicains accepteraient à genoux la seule chance matérielle de salut qui s’offrit à eux, il proposa officiellement au gouvernement le protectorat de la Grande-Bretagne (18 avril).

Jimenez avec qui le consul anglais s’était préalablement concerté,