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pâtre presque illettré devait montrer de singulières aptitudes gouvernementales. Santana l’avait reçue des mains du congrès faible et nue comme l’enfant qui vient de naître, sans, armée, sans marine, sans police, sans finances et même sans ressources en nature ; car, d’une part, les Haïtiens venaient de dévaster les principales plantations, et, d’autre part, la nécessité de faire face à l’ennemi retenait la portion la plus active de la population sur les frontières. Trois ans après, un ordre modèle régnait dans le petit état. Le pavillon de guerre dominicain flottait déjà sur sept bâtimens. L’armée de terre, divisée en troupes proprement dites et en gardes nationales, était parfaitement disciplinée et pourvue de canons ainsi que de vieux fusils à pierre achetés 20 francs pièce aux Américains. Santana avait pu pousser la prodigalité jusqu’à lui donner des uniformes, et, tout payé, il restait dans la caisse publique une épargne de 42,000 gourdes en or, plus du papier déprécié, il est vrai, mais qui, limité au strict nécessaire et circulant sous la garantie du commerce, avait une valeur fixe et réelle. Grace à une administration sévère, le produit des droits de douane, celui de la patente des étrangers, celui du fermage des propriétés confisquées jadis par les Haïtiens et qu’on leur avait reprises, avaient suffi à tout.

Durant cette période, la guerre se limita à quelques insignifiantes escarmouches. Une fois cependant, en juillet 1845, le président Pierrot s’aventura jusqu’au centre de la partie espagnole, dans la double intention de se débarrasser des mulâtres en les exposant au premier feu et d’assouvir les piquets par le pillage. L’armée noire fut mise en déroute et s’en vengea comme toujours par la dévastation et l’assassinat. Pierrot fit, par la même occasion, fusiller à Las Cahobas le petit nombre de prisonniers qui étaient en son pouvoir, ainsi que quelques habitans suspects de ce bourg frontière. L’un d’eux, arrêté comme espion sur la simple dénonciation des piquets, avait obtenu d’être conduit à Mirabelais pour y être jugé régulièrement. À moitié chemin, il tomba d’inanition et de lassitude. Après avoir vainement essayé de le ranimer à coups de bâton, les piquets, désespérant de le faire arriver jusqu’à Mirabelais, voulurent au moins que sa tête y arrivât. Ils la coupèrent, la suspendirent en sautoir au cou de son propre fils, qui dut porter ce trophée sanglant jusqu’à sa destination. Les efforts de Santana pour empêcher que les représailles provoquées par ces féroces fantaisies ne jetassent sur la nationalité dominicaine un reflet de la sauvagerie de l’ouest, n’ont pas toujours été efficaces. Quelques noirs qui avaient outragé des femmes dominicaines étant tombés, peu de temps après, au pouvoir d’un détachement de Seybanos, furent faits eunuques séance tenante. Comme Santana, en l’apprenant, s’en montrait révolté, les Seybanos dirent simplement pour leur excuse « Nous ne voulons pas qu’ils multiplient. » Le meurtre des prisonniers en