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il serait arrivé, sinon sans coup férir, du moins avec toute son armée, car les soldats, urne fois engages au cœur du pays, n’auraient pas osé déserter Si, d’autre part, la ville de Santiago s’était trouvée en état de défense, Pierrot l’eût attaquée avec plus de précautions, et les assiégés eux-mêmes auraient eu soin, pour démasquer les feux de la place, de raser, comme cela a été fait depuis, le bois où Pierrot et ses dix mille hommes faillirent rester tous. Si l’est avait eu enfin, au moment de l’invasion noire, une armée organisée, cette armée se serait probablement portée masse sur le point le plus menacé, c’est-à-dire à Azua, et personne n’eût arrêté au passage ni la colonne de Souffran, ni la colonne de Pierrot. Ceci n’est d’ailleurs qu’une appréciation personnelle, et qu’il serait fort imprudent à moi d’aller hasarder dans le Seybo. Tous les Seybanos sont unanimes à dire, tous les machetes sont prêts à soutenir que Note-Dame de la Merci a seule gagné les batailles d’Azua et de Santiago que, par son intercession, les balles de l’ennemi s’étaient tournées contre lui-même. Ces braves gens ne comptent pour rien leurs coups de lance et leurs coups de sabre.

Comme il ne faut pas cependant abuser des miracles, il fut décidé dans le Seybo qu’on surveillerait à l’avenir Santana. Santana a en effet un côté faible. Ce pâtre qui, dans les dispositions préliminaires d’une attaque, joignait au don de l’inspiration soudaine la froideur d’un tacticien consommé, ce pâtre improvisé général oubliait trop aisément son nouveau rôle. La vue d’une lame nue, l’ivresse du sang et de la poudre exerçaient une influence telle sur le flegmatique Espagnol, que, l’affaire à peine engagée, il oubliait tout derrière lui - Qu’est devenu don Pedro ? se demandait-on à chaque instant, et, pour avoir des nouvelles de don Pedro, il fallait en aller chercher au centre des masses noires. Voilà le côté faible de Santana. On commença donc à lui signifier que désormais, avant le combat, il aurait à jeter bas ses insignes, de général qui le désignaient trop aux balles et aux baïonnettes de l’ennemi, et à prendre le simple costume de macchetero, chapeau de paille, veste blanche et pantalon blanc.

Il se résigna d’assez bonne grace à cette exigence ; mais nouveau mécompte : sous prétexte que ce costume ne trahissait pas son grade, Santana, qui ne s’était précédemment battu qu’en Seybano, se battit à la première occasion en enragé : Ses soldats se promirent d’y mettre décidément bon ordre, et ils ont tenu parole lors de la récente bataille d’Ocoa, qui refoula Soulouque hors du territoire dominicain. Toutes les dispositions prises, tous les ordres donnés, au moment enfin où le trop confiant Santana, désormais quitte de sa besogne de général, se précipitait sur les lignes ennemies pour avoir le plaisir de porter le premier coup de sabre, un piquet de dragons l’entoura. En vain Santana se démenait-il comme un diable, en vain cherchait-il à profiter